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enseignait la guerre sur le champ de bataille, pugnare in prœlio discebant. Cette éducation présentait cependant un grand danger. Elle lui apprenait trop vite des choses qu’il vaut mieux ignorer longtemps, elle le familiarisait avec les spectacles de scandale et de corruption qu’offre d’ordinaire la vie publique, elle lui faisait une maturité trop rapide et l’enflammait d’ambitions précoces. Ce jeune homme de seize ans qui vivait dans l’intimité de ces vieux hommes d’état sans scrupules, et à qui l’on découvrait sans précaution les plus basses manœuvres des partis, ne devait-il pas perdre quelque chose de la générosité et des délicatesses de son âge ? N’était-il pas à craindre que ce commerce corrupteur ne finît par lui donner le goût de l’intrigue, le culte du succès, un amour effréné du pouvoir, le désir d’arriver haut et vite par tous les moyens, et, comme en général les plus mauvais sont aussi les plus courts, la tentation de les employer de préférence ?

C’est ce qui arriva à Cælius. Pendant trois années entières, trois années honnêtes et laborieuses, il ne quitta pas Cicéron ; mais il s’aperçut à la fin qu’un jeune homme comme lui, qui avait sa fortune politique à faire, gagnerait davantage avec ceux qui voulaient détruire le gouvernement qu’avec celui qui essayait de le conserver, et il abandonna Cicéron pour s’attacher à Catilina. Le passage était brusque ; Cælius, à vrai dire, ne s’est jamais donné la peine de ménager les transitions. Dès lors, on le comprend, sa vie prit une autre tournure : il devint un séditieux et un brouillon hardi dont on redoutait la parole mordante sur le Forum et les violences au Champ-de-Mars. À l’élection d’un pontife, il frappa un sénateur. Quand il fut nommé questeur, tout le monde l’accusa d’avoir acheté les suffrages. Non content de troubler les comices à Rome, on le voit soulever, on ne sait pourquoi, un mouvement populaire à Naples. En même temps il ne négligeait pas ses plaisirs. Les débauchés de cette jeunesse bruyante, dont il faisait partie, troublaient à chaque instant la tranquillité publique. On racontait que les rues de Rome n’étaient plus sûres quand ils revenaient la nuit de leurs soupers, et qu’à l’exemple de ces jeunes étourdis que nous dépeignent Plaute et Térence, ils poursuivaient les femmes honnêtes qu’ils rencontraient sur leur passage. Toutes ces folies n’allaient pas sans de grandes dépenses, et le père de Cælius, quoiqu’il fût riche, n’était pas d’humeur à payer toujours. Sans doute en ce moment l’honnête négociant de Pouzzoles dut regretter l’ambition qu’il avait eue pour son fils, et trouver qu’il lui en coûtait cher d’avoir voulu faire de lui un homme politique. Cælius, de son côté, n’était pas d’un caractère à supporter aisément les réprimandes ; il quitta la maison paternelle, et, sous prétexte de se rapprocher du Forum et des affaires, il loua