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toujours rendu justice aux efforts tentés par l’administration pour la faire riche. On a rendu le gouvernement responsable d’un mal dont il faut chercher les causes ailleurs et plus loin. Sans doute des fautes ont été commises : la corruption, cette plaie honteuse qui ronge toutes les branches du service public, est loin d’être guérie, et d’immenses réformes peuvent seules donner un agencement régulier à cette vaste machine ; mais, pour emprunter un exemple à la mécanique moderne, les mesures les plus héroïques ne suffiraient pas, les rouages les mieux disposés ne sauraient marcher sans la vapeur, qui en est l’âme. Or la force motrice par excellence, l’initiative individuelle, l’activité intelligente, on la cherche en vain dans une organisation sociale qui ne s’est pas encore dégagée des langes du communisme, où l’esprit de liberté et les garanties de la propriété individuelle ont également peine à prévaloir.

La Russie est pauvre, nous le répétons, et les Russes que n’aveugle point un faux orgueil national, ceux qui possèdent des notions claires et précises sur la situation de leur pays sont les premiers à en convenir. Un des organes les plus accrédités de la presse russe, le Messager russe (Ruski Viestnik), l’a fort bien démontré[1]. « On déplore, dit-il, la pénurie d’argent qui nous afflige, on en rend le gouvernement responsable, pour ne pas avouer que la pauvreté de la Russie en est la cause première. Il y a toujours assez d’argent dans un pays qui prospère sans que l’on imagine comme élément de richesse des émissions d’assignats, » et pour exprimer sa pensée au moyen d’une métaphore hardie, l’écrivain ajoute : « C’est seulement à une époque toute moderne qu’on s’est figuré qu’il suffirait de fabriquer une paire de bottes pour faire marcher qui n’a pas de jambes. »

S’il est certain que la Russie produit peu, il ne l’est pas moins aussi qu’elle dépense beaucoup : particuliers et gouvernement marchent de pair sous ce rapport ; l’épargne, cette vertu des peuples qui grandissent, ne compte guère d’adeptes ni en haut ni en bas de l’échelle sociale, et pour juger de la situation des masses il suffit de se rappeler que l’impôt sur l’eau-de-vie fournit à lui seul plus du tiers du budget des recettes de la Russie, alors que l’impôt des boissons ne représente guère que le dixième du budget de la France.

Nous n’entendons pas plus dénigrer la Russie que nous ne voulons la flatter ; aussi aurons-nous à invoquer l’affirmation de témoins oculaires qui échappent à tout soupçon de partialité. Ils constatent les graves inconvéniens du climat et du sol, qui ne pourraient être

  1. Septembre 1862.