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Laissons de côté le comte de Clermont, le duc de Luxembourg, la duchesse de Bouillon, la princesse de Tingry, les comtesses du Roure et d’Alluye, le marquis de Feuquières et quelques autres, qui n’offrirent pas une prise suffisante à l’accusation ; ne parlons pas non plus des empoisonnemens pour lesquels Mmes de Dreux et de Polignac, la présidente Le Féron, Mmes de Garada et Lescalopier furent condamnées, les unes au bannissement, les autres à la peine de mort : ce ne sont là que des crimes privés, et nous ne voulons pas sortir du cercle même de la cour et des tentatives qui avaient la personne du roi pour objet. Que voyons-nous ? Une comtesse de Soissons, ancienne maîtresse de Louis XIV, accusée par Louvois d’avoir fait disparaître des domestiques qui la gênaient et profitant avec empressement de la facilité qui lui fut laissée de passer la frontière, comme pour montrer qu’il ne s’agissait pas de si peu de chose ; une autre maîtresse du roi, la belle duchesse de Fontanges, mourant à vingt ans avec la pensée, partagée par bien des contemporains, qu’elle a été empoisonnée, et Louis XIV refusant, de peur d’être trop bien informé, d’autoriser l’autopsie ; des enfans égorgés et des sacrilèges accomplis par d’indignes prêtres au milieu de superstitions horribles que la plume se refuse à décrire, et que l’imagination la plus corrompue serait impuissante à se figurer ; de grandes dames, les plus grandes dames de la cour, se disputant, au moyen de pactes impies avec des sorcières du plus bas étage, l’amour, que dis-je, l’amour ? l’argent et les largesses du roi, ce qu’on appelait les grands établissemens ; un ancien ministre fortement soupçonné d’avoir eu à ses gages des artistes en poison ; ce ministre enfin, prisonnier depuis vingt ans, mourant d’apoplexie au moment même où des hommes, qu’on suppose soudoyés par lui ou par quelques amis restés fidèles, sont dénoncés comme cherchant à empoisonner le roi et Colbert. Voilà ce que dévoilent les papiers de La Reynie et de Colbert, les mémoires de l’avocat Duplessis et les lettres de Louvois ; mais de ces révélations, si tristes qu’elles soient, on peut encore tirer une leçon salutaire, et si de telles superstitions et de tels crimes sont loin de notre temps, si les instincts de justice n’ont plus à soutenir aujourd’hui contre les mœurs d’aussi formidables luttes, on aime à reconnaître que nous devons cet avantage aux instincts libéraux, glorieux héritage du grand mouvement du XVIIIe siècle et des principes qu’il a consacrés.


PIERRE CLEMENT.