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des jours heureux rendra l’influence passée ? Elle avait d’ailleurs un fils légitime, ce duc d’Antin, jusque-là laissé dans l’ombre comme un remords, qui devint le type du parfait courtisan, et il fallait lui ménager les bonnes grâces du maître. Elle resta donc et ne se décida que bien après (mars 1691) à passer par intervalles quelques semaines à la communauté de Saint-Joseph. En attendant, elle continuait de voir le roi et de sortir dans ses carrosses avec la reine et Mme de Maintenon. C’était toujours, comme disait le peuple en les voyant passer, les trois reines ; mais que de changemens depuis les beaux jours du règne ! L’une des reines de la première époque, la tendre La Vallière, s’était courageusement vouée à Dieu, et celle qui l’avait chassée était, malgré ses airs toujours hautains et triomphans, rongée au cœur par l’envie. Quant à la dernière venue, elle pouvait être fière du succès de son habileté incomparable ; mais en était-elle plus heureuse, et qui ne sait ses longs ennuis, ses mélancolies et les tristesses mal déguisées qui remplirent sa vie ?

Le reste de faveur conservé par Mme de Montespan prouve que Louis XIV avait reconnu la fausseté des incriminations de la fille Voisin et des abbés Guibourg et Lesage. Si quelques doutes persistèrent à l’égard des visites faites aux devineresses pour perpétuer, à l’aide de sortilèges ou de philtres prétendus innocens, le pouvoir de ses charmes longtemps vainqueurs, ce ne pouvait être une raison, les relations intimes ayant cessé, pour se méfier d’elle au point de la supposer dangereuse et de l’exiler de la cour. « Mme de Montespan me voit souvent et m’a menée à Clagny, » écrivait Mme de Maintenon à son frère le 19 juin 1685. Et avec une allusion transparente elle ajoutait en plaisantant : « Jeanne (la bouffonne de la dauphine) ne m’y croyoit pas en sûreté. » D’autres motifs durent encore disposer Louis XIV à l’indulgence. Dès qu’ils n’attentaient pas à sa liberté, cet attachement obstiné de ses maîtresses et leurs efforts pour conserver son amour ne pouvaient que le flatter. Et puis était-il lui-même dégagé de toute croyance dans l’astrologie judiciaire, et ne devait-il pas, quand il s’agissait de personnes ayant vécu à ce point dans son intimité, être enclin à pardonner des faiblesses partagées ? Enfin le public ne s’était nullement douté, pendant la longue session de la chambre de l’Arsenal, que les noms de Mmes de Montespan et de Vivonne eussent été prononcés dans le procès et que la personne même du roi y eût été si gravement mêlée. Or l’exil, la disgrâce éclatante de l’ancienne favorite pouvait, en provoquant des colères et des orages, amener la divulgation d’un secret si bien gardé.

Est-il besoin de tirer une conclusion de l’immense procédure dont je me suis borné à résumer les détails puisés aux sources originales ?