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en France. » Ces invectives honorent le magistrat et prouvent que, supérieur aux influences qui s’agitaient autour de lui, il remplissait consciencieusement son devoir. Sans compter la duchesse de Bouillon, qui fut exilée à Nérac, plusieurs grandes dames, des plus belles et des plus haut placées, en firent l’expérience. Si quelques-unes furent renvoyées de l’accusation, les poursuites dirigées contre elles attestent, ce que Mme de Sévigné est forcée de reconnaître quand la passion ne l’égare pas, l’intégrité des juges. Le prince de Clermont-Lodève la reconnut d’une autre manière : accusé par Lesage d’avoir demandé la mort de son frère, l’amour de sa belle-sœur, et le moyen de gagner à coup sûr au jeu du roi, il avait pris la fuite des premiers, et ne rentra en France que douze ans après pour purger sa contumace. J’ai montré que, fidèle aux premières recommandations du roi, La Reynie, allant droit devant lui, sans égard pour la condition des personnes, aurait mis en cause jusqu’à Mmes de Montespan et de Vivonne, et qu’il ne s’arrêta que lorsque Colbert, fortifié par les consultations secrètes de l’avocat Duplessis, eut obtenu qu’une autre direction serait donnée à l’affaire.

C’était sans contredit le parti le plus politique et le plus sage. Se figure-t-on en effet la mère des princes légitimés comparaissant devant la chambre de l’Arsenal sous l’accusation d’avoir fait prendre au roi, pour conserver son amour, des philtres qui auraient pu l’empoisonner ? Quel scandale en France et en Europe ! quelle humiliation pour la royauté ! A part les liens de parenté existant entre lui et Mmes de Vivonne et Montespan, Colbert aurait encore très bien fait, les preuves directes manquant d’ailleurs complètement, d’étouffer cette accusation. Agir autrement, c’eût été se livrer à une œuvre de démolition aveugle, et il s’était trop appliqué depuis trente ans, soit comme conseiller de Mazarin, soit comme ministre, à relever et à fortifier l’autorité royale pour la saper ainsi sans nécessité.

Nous savons par Saint-Simon que la duchesse de Vivonne devint, vers la fin de sa vie, très dévote et joueuse effrénée. Quant à Mme de Montespan, elle assista longuement, on peut le dire, au spectacle de sa propre décadence. Dévorée de jalousie, d’ambition, de vanité, elle eut le mortel déplaisir, après avoir été douze ans la plus impérieuse et la plus arrogante des reines du caprice, de voir tous les hommages se porter vers une rivale introduite par elle dans le temple, vers une ingrate qui avait précisément les qualités qui lui manquaient, la modération, la douceur, la sagesse. Dans cette situation, le soin de sa dignité aurait voulu qu’elle quittât résolument la cour ; mais comment s’arracher d’un lieu où l’on a été souveraine absolue, et, après avoir été tout, s’habituer à n’être plus rien ? Comment ne pas espérer qu’un nouveau retour, qu’un souvenir plus vif