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pour les vices de son temps, le duc de Marsillac, était fait grand-veneur, et le bruit courait qu’il devait cette grâce (triste fruit de l’éducation d’un illustre père !) à la part qu’il avait prise aux amours du roi et de la duchesse de Fontanges. Montée si vite aux nues, la faveur de la jeune duchesse déclina de même. La pluie d’or durait encore, et Danaé s’aperçut qu’elle n’était plus aimée. Les grands établissemens, comme disait Mme de Sévigné, c’est-à-dire les pensions, les diamans, le titre de duchesse, ne pouvaient la consoler. Au mois de juillet 1680, elle partit pour Chelles. « Elle avoit quatre carrosses à six chevaux, le sien à huit, où étoient toutes ses sœurs, mais tout cela si triste qu’on en avoit pitié, la belle perdant tout son sang, pâle, changée, accablée de tristesse, méprisant quarante mille écus de rente et un tabouret qu’elle a, et voulant la santé et le cœur du roi qu’elle n’a pas. » Quelque temps après, la pauvre duchesse prétendit avoir été empoisonnée. Mme de Sévigné croit que c’était pour avoir le droit de demander des gardes. Simple supposition ; on a vu qu’elle était morte le 28 juin 1681, après avoir langui plus d’un an. Enfin la lettre du roi au duc de Noailles que nous avons citée prouve bien que, docile aux conseils de Colbert et redoutant la lumière, il avait eu à cœur d’ôter à la chambre de l’Arsenal tout prétexte à de nouvelles recherches et arrestations.

Bien avant cette époque et au milieu de 1680, la lutte était donc circonscrite entre Mmes de Montespan et de Maintenon. Déjà, vers la fin de l’année précédente, la cour en avait remarqué les commencemens ; mais des reprises fréquentes faisaient penser que, malgré quelques éclipses passagères, l’altière Junon se croyait sûre du roi. Elle avait encore eu assez de crédit pour obtenir, quand la comtesse de Soissons fut obligée de quitter la cour, de la remplacer comme surintendante de la maison de la reine, et cette haute position, la dernière qu’elle eût été digne d’occuper, dut lui paraître une garantie, sinon de fidélité, tout au moins de déférence et de crainte. Est-il besoin de dire que les lettres de Mme de Montespan sont loin d’égaler la grâce et le charme incomparables de celles de Mme de Sévigné ? Il est certain qu’on flatte un peu le grand siècle quand on prétend que tout alors, même le style, avait un air d’aisance et de grandeur ; les collections d’autographes protestent par mille exemples. La lettre qu’on va lire, et que Mme de Montespan écrivit au duc de Noailles à l’occasion du remplacement de la comtesse de Soissons, marque assez bien quelle était, au mois de janvier 1680, la situation de Louis XIV entre ses deux maîtresses[1].

  1. L’original de cette lettre, qui n’a été publiée encore que dans le Bulletin de la Société de l’Histoire de France (année 1852, page 320), se trouve à la bibliothèque du Louvre, On jugera de l’orthographe de Mme de Montespan par le début de sa lettre : « Je suis si convinquue de vostre amitié et je vous ay veu prandre tant de part, etc. » On sait que l’orthographe de Louis XIV était aussi fort irrégulière.