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Gazette de France, journal officiel de la cour, elle gardait le silence le plus absolu ; pour elle, la chambre n’existait pas. Parlant d’ailleurs longuement des moindres fêtes royales, des promenades de la reine, des visites de la dauphine, des cérémonies religieuses, de ce qui se passait dans le royaume de Siam, en Chine, en Turquie, en Moscovie, elle ne s’abstenait que sur un point, celui qui aurait le plus intéressé le public.


II

Il fallut que Colbert intervînt pour dénouer cette situation, qui ne pouvait se prolonger sans compromettre Mmes de Montespan et de Vivonne, et déconsidérer la royauté elle-même. On a vu que ce ministre, directement intéressé à écarter les soupçons qui planaient sur elles (il y allait de l’honneur de la famille), avait communiqué les interrogatoires des accusés à l’avocat Duplessis, en le consultant sur la marche de la procédure. Une lettre qu’il lui écrivit le 25 février 1681 indique bien l’état de l’affaire à cette époque. « J’ai vu et examiné avec soin, disait-il, le mémoire que vous m’avez envoyé ; j’espère en recevoir un demain sur le second fait, qui n’est pas moins grave que le premier, et dont la preuve est selon moi plus entière et plus parfaite. » Colbert faisait ensuite observer à Duplessis que la longue durée de la détention, la multiplicité des interrogatoires et le grand nombre des prévenus, avaient pu leur procurer le moyen de communiquer ensemble et leur suggérer l’idée, pour ajourner leur supplice et peut-être même s’y soustraire, de compromettre avec eux des personnes du rang le plus élevé. Il le priait d’examiner s’il y avait nécessité de faire tant d’interrogatoires, d’établir une chambre extraordinaire pour cette nature de crimes, de prolonger le procès contre l’ordre ordinaire de la justice, et si, dans le cas où l’affaire aurait été remise aux lieutenans criminels, on ne l’aurait pas plus promptement et plus sûrement terminée sans tomber dans tant d’embarras. Il y avait, suivant lui, trois moyens d’en sortir : continuer la procédure, ce qui n’était pas l’avis du roi ; juger quelques accusés des plus coupables, tels que Lesage, Guibourg et la fille Voisin ; enfin transporter sans jugement toutes ces canailles au Canada, à Cayenne, aux îles d’Amérique et à Saint-Domingue. Il préférait, quant à lui, le second expédient, à la condition d’envoyer, même dans ce cas, une vingtaine des moins coupables dans quelque prison près de Paris, et de mettre le reste au secret le plus rigoureux.

Les mémoires de Duplessis à Colbert existent encore et sont curieux à interroger. Après avoir résumé en quelques pages les dépositions