Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cependant les mois s’écoulaient, et, en ce qui concernait Mme de Montespan aucune preuve de complicité directe n’étant venue justifier les premiers soupçons, l’embarras de La Reynie devenait extrême. Plus l’affaire traînait en longueur et plus s’effaçaient les impressions défavorables. Hésitant, craignant d’avoir fait fausse route, il conseillait, le 6 octobre 1680, à Louvois, un biais pour éviter de la nommer en attendant de plus grands éclaircissemens. Cinq jours après, il lui écrivait de nouveau que, malgré tous ses efforts pour se déterminer uniquement par son devoir, il ne savait à quoi s’arrêter. « D’un côté, disait-il, on doit craindre des éclats extraordinaires, dont on ne peut prévoir les suites ; de l’autre, il semble que tant de maux, d’une ancienne et longue suite, venant à être découverts sous le règne d’un grand roi en la main duquel Dieu a mis une grande puissance et une autorité absolue, ils ne peuvent être dissimulés… » Mais aussitôt, redoutant de s’être trop avancé, La Reynie ajoutait : « Je reconnois que je ne puis percer l’épaisseur des ténèbres dont je suis environné. Je demande du temps pour y penser davantage, et peut-être arrivera-t-il qu’après y avoir bien pensé, je verrai moins que je ne vois à cette heure. Je sais déjà qu’il y a plusieurs inconvéniens en ce que je propose, et qu’il auroit été convenable, autant que la nature de ces malheureuses affaires l’eût permis, d’approcher de la conclusion le plus près qu’on auroit pu ; mais, après avoir tout bien considéré, je n’ai trouvé d’autre parti à proposer que de chercher encore de plus grands éclaircissemens et d’attendre du secours de la Providence, qui a tiré des plus foibles commencemens qu’on sauroit imaginer la connoissance de ce nombre infini de choses étranges qu’il étoit si nécessaire de savoir. Tout ce qui est arrivé jusqu’ici fait espérer, et je l’espère avec beaucoup de confiance, que Dieu achèvera de découvrir cet abîme de crimes, qu’il montrera en même temps les moyens d’en sortir, et enfin qu’il inspirera au roi tout ce qu’il doit faire dans une occasion si importante. »

Que devait penser Louvois, cet homme si énergique, si précis, de pareils tâtonnemens et de telles espérances ? Était-ce à le langage d’un magistrat, et fallait-il s’endormir dans ces illusions puériles ? Décidément La Reynie, égaré dans le labyrinthe des dénonciations, ne savait plus comment en sortir, et le procès menaçait de s’éterniser, si une main vigoureuse ne venait en aide à celui qui en avait la direction. Cela était d’autant plus urgent que la chambre de l’Arsenal était l’objet des conversations de toute l’Europe, avide de nouvelles. Les gazettes étrangères annonçaient, il est vrai, par intervalles, la condamnation et le supplice de quelque accusé vulgaire ; mais c’était tout, et nul détail ne transpirait. Quant à la