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nous déclarer, pour la décharge de sa conscience, qu’un grand nombre de personnes de toute sorte de conditions et de qualités se sont adressées à elle pour demander la mort et les moyens de faire mourir beaucoup de personnes, et que c’est la débauche qui est le premier mobile de tous ces désordres. »

La mort ayant fait justice de la moderne Locuste sans que la question extraordinaire eût amené de sa part des révélations inattendues, on eût pu croire que l’affaire marcherait désormais vers une prompte solution, et que de nouveaux scandales ne viendraient pas s’ajouter à ceux qui s’étaient produits. Il en fut tout autrement. C’est alors en effet que la fille Voisin et trois autres accusés, une femme Filastre, et deux prêtres nommés Lesage et Guibourg, avouèrent des faits qui, communiqués immédiatement à Louis XIV par Colbert et par Louvois, durent lui causer une impression singulière. Nous entrons ici dans le cœur même du procès, et l’on va voir si l’obscurité dont le gouvernement prit la précaution de l’entourer n’était pas justifiée. Une lettre de Louvois à La Reynie du 18 octobre 1679 porte qu’il était allé la veille à Vincennes, et qu’il avait promis la vie à Lesage, s’il faisait des aveux complets. Ce Lesage, qui était aumônier de la maison de Montmorency, avait pris alors l’engagement de tout dire ; mais il s’était montré depuis fort réservé. Les révélations de la fille Voisin après l’exécution de sa mère le déterminèrent à parler. D’après elle, le but de sa mère, en cherchant à remettre un placet au roi, était de l’empoisonner au moyen de poudres qu’elle devait glisser dans sa poche et sur son mouchoir. Elle ajoutait que, pendant de longues années, sa mère avait été en commerce avec Mme de Montespan, et qu’une de ses femmes, la demoiselle Désœillets, « qui céloit son nom, mais qu’elle connoissoit bien, » était venue maintes fois chez sa mère, à qui elle avait souvent laissé des billets, que toutes les fois que Mme de Montespan « craignoit quelque diminution aux bonnes grâces du roi, » la Voisin en était informée, faisait dire des messes, et lui donnait des poudres pour l’amour qu’elle devait faire prendre au roi, qu’à la fin, fatiguée de l’insuccès de toutes ces pratiques, Mme de Montespan avait résolu de porter les choses à l’extrémité, et que deux affidés de sa mère, Romani et Bertrand, arrêtés tous deux, avaient entrepris de s’introduire chez Mlle de Fontanges pour lui vendre des étoffes et des gants empoisonnés. La fille Voisin parla encore d’une messe dite par l’abbé Guibourg en présence d’un seigneur anglais qui avait promis 100,000 livres, si l’on parvenait à empoisonner le roi.

Il y avait dans cette déposition bien des incohérences, mais les révélations conformes de Guibourg, de Lesage et de la femme Filastre fixèrent l’attention de La Reynie, qui, ayant pris au pied