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résumé des interrogatoires, raconte que, le 6 février 1680, il se rendit, sur l’ordre de ce dernier, à Saint-Germain au lever du roi, qui lui dit plusieurs choses de conséquence, ajoutant qu’il faudrait aussi « faire la guerre à un autre crime, que sa majesté n’a pas autrement expliqué. » Quels étaient ces nouveaux mystères ? La Reynie ne le dit pas ; mais nous savons par ses papiers que tous les interrogatoires ne devaient pas être montrés indistinctement à tous les juges, pour ne pas divulguer des faits dont la connaissance était réservée au roi, à Louvois, à Colbert. Écrits exceptionnellement sur des feuilles volantes, ces interrogatoires pouvaient être anéantis sans difficulté ; on constituait ainsi une commission dans la commission. Il était entendu en outre que les papiers de la procédure seraient brûlés. Or ces papiers, dont Louis XIV désirait tant faire disparaître la trace, existent encore soit en originaux, soit en copies[1], et permettent de recomposer en quelque sorte le procès célèbre dont le public ne soupçonna pas même la gravité et encore moins les détails. Parmi ceux-ci, il en est que Colbert, embarrassé, caractérisait par ces mots : sacrilèges, profanations, abominations. « Choses trop exécrables pour être mises sur le papier, » dit-il une autre fois. On ne saurait en effet qualifier différemment certaines pratiques d’une superstition corrompue qu’il faut laisser, de peur de s’y salir, dans les dossiers des procureurs-généraux, et pour lesquels le huis clos est même aujourd’hui de toute rigueur ; mais, si la justice historique n’a pas le droit de les livrer à la publicité, elle peut du moins les signaler comme symptômes et signes du temps.

Temps étrange et singulier, bien fait pour expliquer l’amertume d’un La Rochefoucauld et d’un La Bruyère ! Pendant qu’à la surface tout était calme, compassé, solennel (nous parlons surtout ici de l’aspect extérieur de la cour), des passions ardentes, des ambitions effrénées, couvant çà et là, éclataient par intervalles et surprenaient l’observateur par le contraste des résultats. Un ancien compagnon des jeux du roi, le chevalier de Rohan, après avoir gaspillé des

  1. Outre le résumé du procès de la Voisin par La Reynie et ses mémoires à Louvois, qui existent à la Bibliothèque impériale, il y a des interrogatoires originaux à la Bibliothèque de l’Arsenal et aux archives de l’empire. La bibliothèque du corps législatif possède aussi un résumé des interrogatoires du procès de la Voisin, fait par un avocat nommé Brunet d’après douze cartons provenant de la bibliothèque de La Reynie. L’auteur du procès de la chambre ardente dans les Causes célèbres, M. Fouquier, a eu connaissance de ce manuscrit. Enfin M. le duc de Luynes a sur cette affaire et a bien voulu nous communiquer ; 1° la minute autographe du résumé fait par Colbert des interrogatoires que lui envoyait La Reynie, résumé qu’il remettait sans doute à Louis XIV pour le tenir au courant de l’affaire ; 2° plusieurs appréciations des principaux interrogatoires par un célèbre avocat du temps nommé Claude Duplessis, que Colbert consultait à ce sujet.