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surtout dans les hautes sphères, qu’il ne paraît pas que la mise en accusation de tant de grands personnages ait déterminé la coMmetion qui aurait lieu de nos jours, et dont nous avons eu un exemple, il y a bientôt vingt ans, à l’occasion d’un assassinat célèbre. Cette satisfaction donnée par Louis XIV à l’opinion doit lui être comptée, et fit sans doute dans le public un excellent effet. A côté et comme correctif de ses instincts despotiques, ce prince avait à un très haut degré le sentiment de sa mission, et voulait sincèrement que la justice, en ce qui concernait les crimes et délits qui n’avaient pas un caractère politique, fût égale pour tous ses sujets ; il avait de plus le premier mouvement honnête et droit. Il ordonna donc que cette grave affaire fût examinée avec une rigoureuse impartialité, et que les coupables fussent, n’importe leur rang, punis comme ils le méritaient. On trouve dans les papiers de La Reynie, et de son écriture même, un précieux témoignage de ces dispositions généreuses. Le 27 décembre 1679, Louis XIV l’avait mandé à Saint-Germain avec le chancelier Louis Boucherat, le procureur-général de la chambre ardente, Robert, et de Bezons, second rapporteur. « Sa majesté, dit La Reynie, nous a recommandé la justice et notre devoir en termes extrêmement forts et précis, en nous marquant qu’elle désiroit de nous, pour le bien public, que nous pénétrassions le plus avant qu’il nous seroit possible dans le malheureux commerce du poison, afin d’en couper la racine, s’il étoit possible. Elle nous a recommandé de faire une justice exacte sans aucune distinction de personnes, de condition et de sexe, et sa majesté nous l’a dit en des termes si clairs et si vifs, et en même temps avec tant de bonté, qu’il est impossible de douter de ses intentions à cet égard, et de ne pas entendre avec quel esprit de justice elle veut que cette recherche soit faite[1]. » Enhardi par ces paroles, La Reynie instruisit l’affaire sans ménagemens, et Louis XIV, indigné des révélations de chaque jour, autorisa les arrestations dont nous avons parlé ; mais bientôt, quel que fût le scandale auquel on s’était résigné, les prévisions les plus extrêmes furent dépassées, et c’est ici que s’ouvrent pour l’histoire des horizons nouveaux, complètement ignorés des contemporains. Non-seulement les interrogatoires constatèrent que la vie du roi, du dauphin, de Colbert, de Mlle de La Vallière, de la duchesse de Fontanges, aurait été tour à tour en danger, mais la duchesse de Vivonne et Mme de Montespan elle-même furent dénoncées comme ayant trempé dans ces projets. La Reynie, qui avait ordre d’envoyer tous les jours à Colbert et à Louvois le

  1. Bibliothèque impériale, Manuscrit S. F. 7,608. Procès de la Voisin, p. 56. C’est le résumé des principaux incidens et interrogatoires de l’affaire, écrit en entier par La Reynie.