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de Vinet ! Il revendique Bossuet, Bourdaloue, et sa réclamation est si nettement motivée qu’elle semble irrésistible. À toutes les époques, au moyen âge comme au XVIIe siècle, tous les hommes chez qui la vie religieuse était fortement individuelle sont des amis que le théologien de Lausanne réclame avec tendresse. Il est vrai qu’il condamne chez eux toute doctrine, toute croyance qui tendrait à restreindre cette spontanéité ; mais qu’importe, puisqu’il en agit de même avec Calvin ? « Calvin, dit-il, a moins fondé une église qu’une république chrétienne. L’élément de l’autorité, la soumission de l’individu à la communauté, de la communauté elle-même à un dogme, a débordé partout dans son œuvre ; l’intérieur, le spontané, l’individuel, qui ont la première place dans la religion, ont presque disparu de la sienne. » Souveraine équité, pureté incorruptible du juge ! une fois établi sur ces hauteurs, il peut considérer les choses avec une impartialité sereine ; il peut distribuer tour à tour l’éloge ou le blâme selon son sublime idéal, surtout il peut prendre son bien partout où il le trouve. La piété catholique doit tribut à sa théorie aussi bien que la piété protestante. C’est en ce sens qu’il s’est écrié un jour : « Je puis avoir, comme protestant, des pensées catholiques, et qui sait si je n’en ai pas ? » En un mot, c’est un chrétien pur, et M. Scherer a eu raison de dire : « Jamais écrivain n’a manifesté une catholicité plus véritable. »

La catholicité, c’est-à-dire l’unité libre et non l’unité servile, l’unité intérieure et non l’unité apparente, l’unité vivante et non l’unité morte, l’unité assez vaste pour comprendre toutes les variétés qui sont l’œuvre de Dieu, n’est-ce donc point là le but lointain assigné au travail dès générations ? Pascal avait le sentiment de cet avenir quand il reprochait aux papistes « d’exclure la multitude » et aux huguenots « d’exclure l’unité. » — « L’unité et la multitude, s’écrie-t-il, erreur à exclure l’une des deux. » — Vinet, on l’a vu, n’exclut ni l’une ni l’autre ; en prêchant l’individualité religieuse, il a l’espoir de reconstituer la catholicité la plus grande, et là encore, connue dans la démonstration de sa foi, il est le continuateur de Pascal. Voilà l’exemple que doivent se proposer les catholiques libéraux de nos jours. Qu’ils méditent les doctrines de Vinet. Le jour où ils diront : « Je puis avoir comme catholique des pensées protestantes, et qui sait si je n’en ai pas ? » ce jour-là, les routes obstruées se rouvriront dans le domaine des idées religieuses, et l’humanité reprendra sa marche sans s’inquiéter des fantômes qui ne manquent jamais de l’obséder aux heures de découragement et de langueur.


SAINT-RENE TAILLANDIER.