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sa pensée ne fut plus haute ni plus forte. La grande lutte qui remplit les annales du monde, la lutte de la conscience individuelle et de l’unité collective, de l’individu et de l’état, est exposée à larges traits comme une philosophie de l’histoire universelle. Dans l’antiquité, c’est le socialisme qui triomphe ; sacerdotal ou politique, le socialisme établit le niveau sur toute la race humaine. Qui a soulevé ce poids écrasant ? qui a dégagé la conscience ? qui a rendu à l’âme le droit d’accomplir sa destinée individuelle ? qui lui a dit : « Tu n’appartiens qu’à toi-même, et tu ne dois compte de tes sentimens qu’à Dieu seul ? » Qui a sauvé l’homme enfin ? C’est le Sauveur. Grâce à l’Évangile, les flots de la vie ont recommencé à courir dans le corps desséché du genre humain ; mais que de circonstances peuvent l’arrêter de nouveau ! L’ennemi est toujours là, sous mille formes différentes ; dans l’église aussi bien que dans l’état, le principe socialiste veut reconquérir la terre, tantôt par un entraînement aveugle, tantôt par un dessein calculé. Pendant longtemps, le catholicisme ultramontain a confisqué l’individu ; aujourd’hui c’est la démocratie et le panthéisme qui menacent sa liberté. Il faut que l’individu se défende. Le socialisme antique avait du moins sa place marquée dans l’histoire du genre humain, et il a rendu d’incontestables services : il substituait l’égalité aux tyrannies particulières, il fondait l’état, il préparait la voie à l’Évangile. Aujourd’hui que l’état assure à tous l’égalité du droit commun et que la liberté individuelle est constituée par la religion du Christ, le socialisme moderne ne serait plus qu’une reculade et une apostasie. « Le socialisme antique n’était qu’un fait ; le socialisme moderne est un système, un système conséquent, logique, absolu, incapable d’enthousiasme, mais capable de fanatisme. L’heureuse inconséquence du premier laissait debout quelques-uns de ces instincts traditionnels qui rattachent encore à son glorieux passé l’humanité déchue ; le second les abolit tous, et ses prédications sont comme un couvre-feu général à l’heure mélancolique où l’humanité s’endort. » C’est contre ce couvre-feu général que proteste Vinet ; il ne veut pas que l’humanité s’endorme, il sonne la cloche d’alarme, il réveille les consciences engourdies. O clairvoyance politique de l’homme qui a passé sa vie au centre des questions religieuses ! Il trace ces pages en 1846, et il y décrit d’avance une période qu’il ne devait pas voir. « L’état antique, s’écrie-t-il, avait pourvu à la défense de tous contre chacun ; il était réservé à l’état moderne de maintenir le droit, non-seulement de chacun contre chacun, mais de chacun contre tous. Voilà qui est distinctivement moderne, distinctivement chrétien dans notre politique. Voilà le butin, hélas ! le butin sanglant de tant de siècles de douleurs. Voilà nos glorieuses couleurs, voilà