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1829, à propos d’une de ces luttes que provoquait le mouvement du réveil, Vinet, si modéré, n’avait pas craint de jeter cette parole hardie : « C’est de révolte en révolte que les sociétés se perfectionnent, que la civilisation s’établit, que la justice règne, que la vérité fleurit. » Cette question, depuis plus de vingt années, était toujours pendante ; les adversaires ne manquaient pas au novateur, et, sans parler de la défiance fort naturelle des hommes d’état, sans tenir compte des impiétés grossières de la foule, il faut reconnaître que des objections très sérieuses lui étaient adressées chaque jour par des membres de l’église nationale. Vinet résolut de traiter à fond toutes les parties du problème, de discuter toutes les critiques, d’attaquer toutes les difficultés, et il publia en 1842 le livre le plus important qui soit sorti de sa plume, l’Essai sur la Manifestation des convictions religieuses[1].

« Est-ce un devoir pour tout homme de chercher à se former une conviction en matière de religion et d’y conformer toujours ses paroles et ses actions ? » Tel est le sujet que M. de La Rochefoucauld, président de la Société de la morale chrétienne, avait fait mettre au concours en 1833, sujet un peu étroit dans sa formule première, mais dont les applications sociales ouvraient un champ fécond à la controverse. Que ce soit un devoir de chercher la vérité religieuse et d’y conformer sa vie, personne n’en doute, et on ne voit pas ce que la discussion pourrait ajouter à l’évidence de ce principe ; il suffit de le rappeler à ceux qui le mettent en oubli. C’est matière à prêcher, non à philosopher. Il s’agit d’une vérité ancienne à rajeunir, non d’une vérité nouvelle à découvrir. Prenez garde pourtant : quels seront les rapports de la conviction religieuse de chacun avec les convictions générales ? Qui fixera les relations des minorités avec la majorité ? L’état peut-il intervenir en ces domaines de la conscience ? La protection de l’état ne serait-elle pas aussi funeste à une religion vivante que la persécution même ?… Vous le voyez, il suffit d’un mot pour briser le cadre de l’étroite formule, et le problème s’étend à l’infini. Le concours avait langui pendant plusieurs années, quand Vinet se mit à l’œuvre et remporta la victoire. C’était en 1839. Pour un homme si activement mêlé aux luttes religieuses d’un canton bien moins libéral que démocratique, la publication de ce mémoire était chose grave et périlleuse. Un tel livre signé d’un tel nom allait provoquer des discussions si vives, que Vinet, avant de le mettre au jour, voulut n’y rien laisser d’incomplet, d’incertain, d’équivoque, rien non plus qui fût de nature à aigrir

  1. Essai sur la manifestation des convictions religieuses et sur la séparation de l’église et de l’état envisagée comme conséquence nécessaire et comme garantie du principe, par A. Vinet, seconde édition, 1 vol. in-8o. Paris 1858.