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d’admettre tout ce que le bon sens lui prouve, fût-elle même incapable de l’expliquer, et de rejeter tout ce qui se présente sans preuve, y eût-il même de l’attrait et de la beauté dans ces idées qu’elle est forcée d’éloigner. Voilà l’esprit de la science ; l’état qui ne veut pas de la liberté religieuse ne peut vouloir d’une telle science, à moins qu’il ne lui plaise d’établir, avec une religion de l’état, une métaphysique, une géologie, une critique, une vérité de l’état. » Et que les croyans, les fidèles, dans telle ou telle communion, ne s’effraient pas de cette revendication de l’absolue liberté, car c’est la loi même de l’Évangile. L’Évangile est la suppression solennelle de toute théocratie. La théocratie mosaïque a pu être conforme aux desseins de Dieu pendant l’enfance du genre humain ; l’Évangile a sonné l’heure de l’émancipation. À chaque page du divin livre le chrétien lit ce mot : liberté.

Si Alexandre Vinet, en prêchant la liberté de conscience, espérait susciter des chrétiens, il travaillait aussi à faire des hommes, ou plutôt il ne voyait pas de différence entre ces deux termes, et le chrétien tel que le comprenait sa belle âme était pour lui l’homme complet. Parmi tant de pensées lumineuses qui jaillissent à chaque page de ce mémoire, je veux citer ce qu’il a dit de la France. Nulle part sa sollicitude humaine n’a été plus vive, sa prévoyance plus sûre, sa raison plus noblement inspirée. Une des grandes préoccupations de nos jours, c’est le problème de l’individu et de l’état ; nous sentons tous que l’esprit d’initiative s’affaiblit parmi nous, et il faut bien que le péril soit grave, puisque le souverain lui-même l’a signalé dans une occasion solennelle. Vinet, il y a quarante ans, dévoilait le premier ce mal de notre pays, et il en voyait la racine dans le système qui refuse à la conscience religieuse la plénitude de sa liberté. Quand un peuple n’a pas craint d’abdiquer ses plus précieuses facultés, quand il s’est dépouillé entre les mains de l’état du droit individuel d’avoir une opinion, quelles vertus civiques est-il permis d’en attendre ? Il est condamné à une frivolité funeste. « Toutes les questions les plus graves et les plus sublimes qui peuvent occuper une âme humaine lui étant soustraites, il n’a plus à s’occuper que des intérêts passagers de la vie et du culte des passions. Il pourra devenir admirable dans quelques arts, développer des sentimens aimables, briller par une singulière élégance de mœurs ; mais il ne se peut pas que son âme soit profonde, car il vit étranger aux idées qui font de la vie une action sérieuse et importante… L’autorité s’est chargée de sa croyance ; il la chargerait volontiers de son patriotisme et de son esprit public. » Cruelles paroles et bien injustes, si l’auteur n’a pas seulement en vue telle ou telle période de défaillance, s’il nous enveloppe tous dans cette condamnation, s’il oublie