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digne ; mais désormais elle ne saurait se borner à distribuer équitablement l’éloge et le blâme. Elle n’aurait pas non plus accompli sa tâche tout entière, lors même qu’à des jugemens sévères et trop souvent mérités elle ajouterait d’impuissans regrets et des gémissemens stériles. Deux esprits éminens, aussi exempts d’illusions qu’incapables de défaillance, MM. Vitet et Gustave Planche, lui ont donné d’autres exemples. Jamais leur admiration passionnée pour l’antique ne les a empêchés ni de reconnaître les qualités originales de certains artistes contemporains, ni de chercher eux-mêmes des voies inexplorées, afin d’y pousser avec une hardiesse prudente les sculpteurs et les peintres de notre pays. Que la critique imite de tels maîtres. Qu’au lieu de se réduire aux fonctions de juge et quelquefois même au rôle de simple témoin, elle stimule et dirige les différens arts au nom de l’intelligence. À l’égard de la sculpture, les obligations de la critique sont plus nombreuses encore et particulièrement délicates. Cet art en effet a des forces expressives moins étendues et moins variées que celles de la peinture : la calme blancheur des marbres ou la teinte sombre du bronze attire peu le regard ; le champ où se meut le sculpteur a d’étroites limites ; enfin l’harmonie nécessaire des lignes lui interdit l’expression des mouvemens vifs et des passions véhémentes. Croirait-on aider la sculpture à racheter de tels désavantages en lui conseillant un retour impossible vers la plastique grecque, c’est-à-dire une lutte téméraire avec Phidias et Praxitèle ? Non, le marbre et le bronze n’auront de valeur esthétique aux yeux des générations nouvelles que si l’âme moderne y palpite. Voilà ce que la critique pensera peut-être, si elle se recueille et réfléchit ; voilà aussi ce qu’elle fera entendre à la sculpture, si elle veut l’entraîner à de nouvelles et plus brillantes destinées.


CH. LEVEQUE.