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moins pendant quelques jours, au salon de peinture, on se presse au théâtre, on se dispute les places, grâce à Dieu, aux nouveaux concerts populaires ; on ne court pas aux statues… Ainsi nous interrogeons le présent avec insistance et sans écarter aucune objection ; mais puisque le peu d’empressement qu’il a bien fallu remarquer n’est pas l’absolue indifférence, puisque la sculpture a encore des amis et suscite encore des talens, soit qu’elle s’adresse au gentiment national, soit qu’elle parle avec une suffisante éloquence le langage qu’a trouvé la statuaire grecque, nous ne voulons ni ne pouvons bannir l’espérance. Toutefois le progrès moderne de la sculpture, celui qui la marquera vraiment d’un caractère d’originalité, dépendra du concours des forces dont nous disposons aujourd’hui. Or, parmi ces forces, il en est une très puissante qui n’existait pas en Grèce, du moins sous sa forme actuelle, et dont il reste à parler.

Cette force, c’est le développement de l’esthétique, de la philosophie du beau, s’appuyant sur l’histoire de l’art. Il y avait chez les Grecs une certaine critique d’art. Il y avait des concours où les altistes se jugeaient les uns les autres, des expositions publiques où l’artiste assistait, et où chacun exprimait librement son avis. Il y avait enfin les philosophes, qui tantôt conseillaient directement les artistes, comme Socrate, tantôt introduisaient dans leurs écrits des théories sur les arts et sur la beauté, comme Platon et Aristote, C’était là à coup sûr de la critique, et une critique souvent efficace. Elle était loin cependant de posséder les connaissances variées et les moyens d’action de la critique actuelle. Au temps des Grecs, le passé de l’art était récent et court ; ce n’était guère que le passé de l’art grec lui-même. De plus, il y avait alors bien peu de nations où l’art fût cultivé avec succès, et qui pussent offrir des termes de comparaison et des occasions utiles de contrôler les œuvres nationales. S’il y a, qu’on nous passe ce terme, un croisement fécond des races intellectuelles comme il y a un mélange salutaire des races physiques, un tel croisement n’a été possible que très tard pour la Grèce antique, et quand il le devint, cette nation, restée la première par le génie, donna de son intelligence à d’autres peuples, aux Romains par exemple ; mais elle n’en reçut rien. Il est aisé de voir que, telles ayant été les conditions de l’ancien monde, la Grèce artiste devait vieillir de plus en plus sans qu’aucun échange de vie intellectuelle fraîche et neuve vînt prolonger sa maturité ou retarder sa décrépitude.

En est-il de même du monde moderne et de la France en particulier ? Non. Nous avons de plus que les Grecs le trésor d’une longue et riche expérience, et de nombreux moyens de rajeunissement.