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l’aide de laquelle on parvient à reconnaître les beautés de l’original. » Rien de mieux ; mais cette impuissance où nous sommes d’arriver jusqu’à l’original avec l’original tout seul, sans le secours de l’antique traduction et du commentaire anatomique, ne nous avertit-elle pas que nous resterons les disciples et que les Grecs resteront les maîtres ? On nous conseille d’étudier les poses grecques, afin d’éviter la manière et d’obtenir des effets et des mouvemens naturels Soit encore. Toutefois il y a en cela quelque danger et quelque embarras : le danger, c’est de tomber dans l’imitation de l’antique, si l’on s’en tient aux poses qu’il nous a transmises, et de n’être qu’un copiste ; l’embarras, c’est que si nous cherchons d’autres poses, le traducteur grec sera muet, et l’original moderne, c’est-à-dire le modèle, nous offrira bien malaisément, lui, pauvre mercenaire de notre âge de fer, ces poses libres et faciles que l’artiste grec apprenait de ses concitoyens, athlètes comme lui et comme lui nus dans l’arène, demi-nus sur les chemins. On nous prescrit de rejeter « l’entrave d’un costume éphémère, » de n’être les copistes « ni du tailleur, ni du bottier ; » on va jusque affirmer que, pour les draperies, les modèles ne nous manquent pas plus qu’au sculpteur des Parques du Parthénon ou à celui des Muses. Quelle étrange méprise ! La draperie était une partie du costume grec : les Grecs la portaient naturellement ; ils la jetaient sur l’épaule, la ramenaient sur la tête, ou la laissaient tomber sur les hanches, selon le moment. D’instinct ils la plaçaient avec grâce ou s’en enveloppaient avec majesté. Nous n’avons et nos modèles n’ont pas plus que nous cette habitude et cet instinct. On compte les acteurs qui ont su porter la draperie grecque, et la chose est si peu commune qu’on la vantait en Mlle Rachel comme une partie de son talent de tragédienne et d’artiste. Nous avons vu tel artiste distingué se donner sans succès une peine infinie pour draper naturellement un modèle aussi intelligent à coup sûr que certains cavaliers de la frise des Panathénées. L’art qui s’est fatigué à chercher la nature ne peut lutter sans désavantage avec l’art que la nature venait chercher. Enfin, pour ne plus citer qu’une dernière recommandation, on engage judicieusement le sculpteur à exprimer l’âme, et les mœurs de l’âme plutôt que les passions, et les mœurs pures plutôt que les mauvais sentimens. On l’exhorte à éviter les situations violentes et les crises convulsives où la beauté s’évanouit. On demande, en d’autres termes, une sculpture spiritualiste : le vœu est noble et digne d’être entendu. Socrate et Platon parlaient le même langage. Ils furent compris, ou plutôt les artistes grecs avaient devancé à cet égard les enseignemens des philosophes. Les amateurs qui s’obstinent à prétendre que les statues grecques manquent d’expression ou n’expriment que