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lentement des liens de la superstition. Ce n’est qu’après une longue suite d’essais et de tâtonnemens que l’art, même là où il est un don de la nature, parvient à découvrir, à perfectionner et à maîtriser ses procédés. Ajoutons, nous qui sommes de l’avis de Lessing sur les limites qui séparent la poésie de la sculpture, que, si Homère fournissait aux artistes l’idée mythologique, le sujet, le motif, il restait fidèle à son génie de poète, et par conséquent n’indiquait à la sculpture ni le dessin, ni le modelé, ni la composition, rien en un mot de ce qui ne relève que de la faculté plastique. Nous ne partageons certes pas l’opinion de Spence, qui soutenait que la poésie et la peinture étaient à ce point unies chez les Grecs que jamais le poète ne cessait d’avoir le peintre sous les yeux, ni le peintre le poète. Nous ne croyons pas davantage ce qu’affirmait le comte de Caylus, à savoir qu’Homère abonde en tableaux tout faits, et que les artistes n’ont qu’à suivre et à reproduire un à un les moindres détails exprimés dans l’Iliade. Lessing, en maints passages de son Laocoon, livre excellent, mais très peu lu de nos jours, à ce qu’il paraît, Lessing a fait justice des fausses idées de Caylus et de Spence. L’épopée homérique n’en demeure pas moins une scène immense, éclairée pour l’imagination d’une lumière resplendissante, bu se meuvent dés êtres doués de caractères intellectuels et moraux profondément distincts, revêtus de formes corporelles, marqués de la plus forte empreinte individuelle, beaux et différens, vivans et idéaux. Ces types consacrés par la religion commune hantaient dès les commencemens l’esprit actif et éveillé des artistes : ils s’y débrouillaient, s’y éclaircissaient ; ils s’y rapprochaient graduellement des conditions propres de la plastique, de telle sorte que, lorsque les artistes furent à peu près sûrs de leur main, lorsque l’inspiration les pressa de se mettre à l’œuvre, ils n’eurent pas, comme tant de modernes à se creuser la tête afin de découvrir quel emploi ils feraient de leur génie du de leur talent. Les sujets étaient prêts, mûris, dictés en quelque façon par la voix de la poésie religieuse. On n’eut plus qu’à les traiter, et si la routine sacerdotale, l’entêtement superstitieux opposèrent çà et là une certaine résistance, le rayonnement du beau dissipa bientôt les fausses lueurs et assura la victoire de l’art.

Le génie esthétique des Grecs anciens, le climat de leur pays, le caractère anthropomorphique et polythéiste de leur religion, telles furent donc, selon nous, selon les symbolistes et les archéologues dont nous suivons les tracés, les causes principales de là perfection de la sculpture grecque. Toutes les autres causes énumérées par Émeric David se ramènent à celles-là, ou sans celles-là eussent été impuissantes. Examinons-en un petit nombre afin d’établir ce point