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siècles, afin de conquérir des terrains pour la culture, on travaille à les rétrécir tout simplement en transportant le sable ailleurs, labeur énorme que la valeur de la terre gagnée ainsi semble ne jamais pouvoir payer. Cependant, puisque cela s’est fait et se fait encore par l’unique stimulant de l’intérêt privé, il faut bien que ce travail laisse du bénéfice. L’histoire a conservé le souvenir de celui qui le premier en conçut l’idée. En 1461, un seigneur de la cour de Philippe le Bon, comte de Hollande, se rendit auprès de la commission des hospices de Harlem, proposant de lui indiquer un moyen d’augmenter son revenu, à la condition que, si le moyen réussissait, on lui servirait une rente sa vie durant. La condition fut acceptée ; alors il lui conseilla de vendre le sable des dunes qui appartenaient à ces établissemens de charité. L’avis parut d’abord assez étrange, car qui voudrait acheter du sable ? Il leur expliqua que les navires d’Amsterdam ne savaient où trouver du lest, et qu’ils paieraient très bien celui qu’on leur fournirait. L’idée était bonne ; elle réussit, et depuis quatre cents ans on enlève du sable des dunes non-seulement pour le service des navires, mais pour celui des rues et des routes et pour les usages domestiques[1].

Il s’est formé ainsi entre les dunes et les prairies argileuses ou tourbeuses une lisière à laquelle la proximité des villes de Delft, de La Haye, de Leyde, de Harlem et d’Amsterdam a permis de donner une fertilité extraordinaire. Cette lisière aux environs de La Haye s’appelle le Westland. C’est un jardin continuel où la culture accomplit de véritables miracles, car dans un sol naturellement détestable et sous un ciel rigoureux, à proximité de la Mer du Nord, elle obtient des produits que refuse parfois le doux climat de Nice et d’Hyères. Près de Harlem se rencontrent les grandes plantations de tulipes, d’hyacinthes et de jonquilles qui ont acquis depuis longtemps une renommée européenne. Les précieux oignons de ces plantes bulbeuses sont expédiés dans le monde entier, surtout en Russie et dans l’Amérique du Nord. Le charmant village de Bloemendaal, qui porte si bien son nom, vallée des fleurs, en a vendu en 1862 pour plus de deux tonnes, c’est-à-dire pour environ un demi-million de francs. Dans le Westland, on cultive aussi très en grand des fleurs de toute espèce, des soucis pour falsifier le safran, dit-on, et des roses surtout dont les pétales sont recueillis comme en Perse afin d’en extraire des essences de parfumerie. Ailleurs, à Noordwyk et à Wassenaar, ce sont des plantes médicinales qui donnent aussi de bons profits. A Monster, ce sont des asperges et des figues, et l’on peut y voir un figuier

  1. Une des plus importantes de ces exploitations de sable (afzanding), près de Loosduinen, appartient à la reine-mère.