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rapides, surtout quand le chemin de fer, qui bientôt reliera ces districts écartés au reste du pays, aura ouvert des débouchés aux produits futurs des bois résineux.

Dans la Drenthe, l’aspect du paysage, ces landes immenses que l’homme ne semble pas avoir occupées encore d’une manière permanente, et où lui et ses troupeaux ne laissent pas plus de trace de leur passage que le navire qui sillonne l’Océan, les usages anciens, la culture en commun sur les esschen, la trompe rustique qui appelle les laboureurs au travail, les vieux chênes du village, la forme et la disposition intérieure des habitations, les tumulus qui recouvrent les cendres et les armes des anciens guerriers francs ou saxons, tout vous transporte dans la Germanie décrite par Tacite ; mais on rencontre parfois sur la bruyère certains monumens étranges qui rejettent l’imagination à une époque bien plus reculée encore. Ce sont d’énormes blocs de granit rouge, des pierres levées sur lesquelles reposent d’autres masses plus plates et plus grandes, comme pour former la table fruste et difforme d’une famille de géans. Ces pierres muettes et sans inscription, debout dans la solitude, nues, sans aucune végétation parasite pour en égayer les sombres teintes, ont un aspect farouche qui inspire un respect mêlé de crainte. La dernière fois que je visitai l’un de ces monumens mystérieux, c’était près de Gieten, par un temps orageux. Le soleil couchant jetait une lueur sinistre sur les blocs de granit, qui paraissaient teints de sang. De lourds nuages chassés par le vent accouraient du fond de l’horizon, semblables à ces animaux fantastiques dont les anciennes mythologies peuplaient l’univers. Rien autour de moi ne m’empêchait de me croire revenu au temps où vivaient les tribus inconnues qui avaient élevé ces indestructibles témoins de leur culte ou de leur respect pour les morts. Que sont ces pierres ? Un autel ou un tombeau ? D’où viennent en Hollande ces masses de granit, tandis qu’on ne trouve point de roches semblables à plus de trois cents lieues de distance ? La géologie a répondu à cette dernière question, car elle a montré que ces blocs erratiques avaient été apportés jadis de la Norvège jusqu’ici sur le dos des glaces antédiluviennes ; mais l’histoire ne sait point quelle race a transporté et soulevé ces masses énormes par un travail qui semble dépasser les forces dont peut disposer une tribu barbare. Dans le pays, on appelle ces monumens Hunebedden, lits ou tombeaux des Huns, et il n’est pas étonnant que la tradition populaire en ait attribué l’érection aux bandes d’Attila, dont les dévastations avaient laissé un si profond et si lugubre souvenir dans les premiers temps du moyen âge ; mais il est évident que ce ne sont pas les Huns qui ont disposé ces blocs de granit en forme d’autel ou de tombeau ; il est bien plus probable