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sérieuses et salutaires : d’abord la morale par excellence, la morale sans pédantisme, celle qui fait son œuvre en souriant ; puis le spiritualisme, non pas le spiritualisme abstrait qui ne s’adresse qu’aux initiés, mais le spiritualisme vivant, pratique, celui qui se révèle à toutes les heures décisives de l’existence humaine et que le grand art a mission de consacrer ; enfin un libéralisme antérieur et supérieur à nos polémiques d’un jour, le libéralisme d’une âme qui se possède et qui ne craint pas de revendiquer tous ses droits parce qu’elle est toujours prête à remplir tous ses devoirs, celui en un mot qu’il faut nous souhaiter à tous dans notre France du XIXe siècle… » M. Saint-René Taillandier a fort sagement ensuite abordé son sujet même, dont il a esquissé à grands traits l’étendue et les divisions principales. Il en a pris occasion pour faire connaître quelles maximes inspireraient son enseignement ; elles peuvent se résumer dans ce seul mot, le spiritualisme chrétien, et se trouvent ainsi dans un intime accord avec l’admirable moment de l’histoire de notre littérature qui doit faire pour cette année l’objet de son cours. M. Saint-René Taillandier a choisi en effet les vingt-cinq années comprises entre 1636, date de l’apparition du Cid, et 1661. Horace, Cinna, Polyeucte, le Menteur, Rodogune, Don Sanche, Nicomède succèdent au Cid, et c’est par conséquent une étude du génie de Corneille qui doit servir de sujet principal ; mais comment ne pas accorder une très grande place, même à côté des tragédies de Corneille, à la publication du Discours sur la Méthode et à celle des Provinciales ? Corneille, Descartes, Pascal ont également contribué à la création d’un monde nouveau, et le poétique essor auquel le grand art dramatique doit chez nous sa véritable existence ne peut se séparer du philosophique élan issu de Descartes, ni de l’imposante synthèse religieuse à laquelle Pascal a attaché son nom. M. Saint-René Taillandier a caractérisé avec justesse chacune de ses trois manifestations si éminemment françaises, et chacun a pu reconnaître dans les rapprochemens heureux qui l’ont aidé à compléter sa pensée le vigilant critique qui a suivi pendant vingt années, dans la Revue, le développement parallèle de notre littérature et des littératures étrangères. Jamais on n’a été plus persuadé qu’à notre époque de l’évidente nécessité de compléter l’une de ces deux études par l’autre, et M. Saint-René Taillandier a fait pressentir dès sa première leçon quel parti il aurait à. tirer de semblables comparaisons pour ce qui regarde le théâtre de Corneille. Chargé lui-même depuis longtemps de professer l’histoire de la littérature française, il a fait de sa chaire de Montpellier une des plus applaudies parmi celles de nos facultés provinciales, et s’est acquis en un mot, comme professeur et comme publiciste, cette sorte d’autorité qui ne manque jamais à un talent réel soutenu par un honorable caractère. À ces deux titres tout au moins, M. Saint-Marc Girardin et ses éminens collègues de la Sorbonne auront cordialement accueilli le nouveau membre de la faculté des lettres, qui leur rendra, rien qu’en restant semblable à lui-même, quelque chose de l’honneur qu’il aura reçu d’eux.

A. Geffroy.