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à Madrid, après des élections d’où est sortie une nouvelle chambre des députés. L’adresse répondant au discours par lequel la reine Isabelle a ouvert la session a été longuement et vivement débattue. Opposition, majorité et ministère se sont heurtés dans une mêlée parlementaire de quelques jours. Au demeurant, quelle est la politique qui règne aujourd’hui au-delà des Pyrénées ? Quelle est la situation du ministère et des partis qui tourbillonnent autour de lui, agitant des drapeaux aux couleurs incertaines ? La question ne laisse point d’être obscure et difficile à éclaircir. Un des caractères de la politique actuelle de l’Espagne en effet, c’est l’indéfinissable. Tout y apparaît dans une sorte de demi-jour équivoque où rien n’est moins aisé que de saisir un système, une pensée, un groupe distinct et compacte, une politique suivie. Depuis nombre d’années, l’Espagne vit en pleine décomposition des partis. De là cette couleur indécise, cette impuissance organique des ministères, qui peuvent tomber sans aucun motif saisissable, de même qu’ils peuvent durer sans aucune raison sérieuse de vivre, et dont la force la plus réelle est dans la faiblesse et la division de leurs adversaires ; de là aussi cette confusion des opinions et des partis, qui ont à coup sûr plus de velléités que de puissance, qui peuvent créer des embarras, rendre la vie difficile à un gouvernement mal constitué, exercer à un jour donné, en se mêlant, en se coalisant, une sorte d’influence, sans offrir les élémens d’un pouvoir plus consistant et plus uni. En un mot, c’est pour le moment le règne des pouvoirs et des partis de demi-teintes, ou, pour mieux dire encore, de la personnalité se créant une issue à travers cette dissolution des opinions organisées d’autrefois.

Lorsque le ministère qui s’est présenté récemment devant les chambres à Madrid arrivait au pouvoir il y a neuf mois à peu près, il succédait à un cabinet qui arborait le drapeau de ce qu’on a appelé l’union libérale, qui avait le général O’Donnell pour chef, M. Posada Herrera pour grand-électeur et arbitre de la politique intérieure, et pour premier diplomate M. Saturnino Calderon Collantes d’illustre mémoire, qui précédait de quelques jours ses collègues dans la tombe, périssant enveloppé dans la gloire que lui avait value la manière dont il avait conduit les affaires extérieures de la Péninsule. Ce cabinet avait duré près de cinq ans. Il aurait pu sans nul doute, conduit par un chef énergique, exercer une influence décisive et utile en Espagne. Il avait eu, pour le soutenir et imposer silence à ses adversaires, une bonne fortune imprévue telle que la guerre du Maroc. Malheureusement, en dehors de cette bonne fortune toute militaire, il s’était borné à vivre, laissant intactes les questions qu’il avait trouvées pendantes à sa naissance, comme la loi sur la presse, ne présentant des réformes administratives que pour les voir sombrer dans des discussions confuses, subissant des influences insaisissables contre lesquelles il avait prétendu réagir, poursuivant les journaux d’un redoublement de rigueurs et s’épuisant à ne rien faire. Sentant le terrain se dérober sous lui, il essayait au dernier instant, il est vrai, de se reconstituer ; mais les inconséquences qu’il avait