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REVUE. — CHRONIQUE.

peut regretter la mauvaise direction que suit l’Allemagne dans la question danoise ; mais il ne servirait de rien, il ne serait pas équitable, il serait dangereux de méconnaître les justes griefs du patriotisme allemand. L’Allemagne, comme nation, il faut l’avouer, n’a point, dans les transactions européennes, la place et l’influence auxquelles elle a droit. Voilà un peuple qui compte cinquante millions d’âmes ; ce peuple est l’un des plus éclairés et des plus industrieux de l’Europe ; dans les sciences, dans la philosophie, dans tous les développemens de la vie intellectuelle, aucun ne le surpasse ; il déploie dans les affaires une habileté et une activité incontestables ; il est doué d’une force d’expansion extraordinaire, et sa population débordante envoie des colons et des pionniers de la civilisation aux extrémités du monde ; dans les grandes luttes politiques de notre siècle, quand l’Allemagne n’a plus été une machine passive aux mains de gouvernemens routiniers, quand elle s’est réveillée comme peuple, elle a exercé tout à coup sur les événemens une action décisive. Malgré tous ses titres à être admise, écoutée et comptée dans les délibérations de politique internationale au même rang que les autres grandes nations, l’Allemagne s’y voit effacée et annulée. Sa place y est prise par les deux premières puissances de la confédération, l’Autriche et la Prusse, qui ne peuvent la représenter qu’incomplètement, qui, ayant d’importantes possessions non allemandes, ont à cœur d’autres intérêts que l’intérêt allemand, qui enfin, presque toujours en lutte, divisent et neutralisent l’Allemagne par leurs constantes rivalités, ou la dominent impérieusement dans les rares occasions où elles sont d’accord. Telle est la fausseté et le vice de la situation de l’Allemagne ; il y a longtemps que les Allemands ont le sentiment amer de cette situation pénible et humiliée. De là le profond malaise qui les travaille ; de là ces aspirations à organiser une meilleure représentation et une action mieux unie et plus libre de la confédération ; de là ce mouvement du National Verein, qui s’est si rapidement accru depuis peu d’années ; de là cette éclatante et récente manœuvre de l’empereur d’Autriche, qui rendait hommage aux aspirations allemandes, même en leur offrant des satisfactions illusoires. La première issue qui s’ouvre à l’expression du sourd malaise et de l’ambition inquiète du patriotisme allemand, c’est la question du Slesvig-Holstein. Dans cette question est engagé un intérêt évident de nationalité, un intérêt d’amour-propre allemand, un intérêt d’accroissement de puissance pour la confédération, puisqu’il s’agit de s’assurer de la possession des deux rives de la rade de Kiel. Les Allemands s’attachent d’autant plus à leurs prétentions en cette circonstance qu’à la question de juridiction fédérale vient s’ajouter aujourd’hui la question de succession. Grâce à cet incident de la succession, ils ont dans les mains une sanction pénale dont ils peuvent appuyer leurs réclamations contre le Danemark. Si le Danemark persiste à vouloir diviser les deux duchés et à incorporer le Slesvig dans la constitution de la monarchie, ils menacent de ne pas recon-