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glorieux, personnel, théâtral. Au dehors, il a poussé l’orgueil national jusqu’à l’insolence la plus impolitique ; il a sacrifié les intérêts de son pays au plaisir d’humilier les ennemis de son pays ; il a fait craindre l’Angleterre, mais en la faisant haïr bien plus encore qu’il ne la faisait craindre, et il a ainsi contribué à l’isolement où elle s’est trouvée lors de la guerre d’Amérique. Au dedans, la passion de l’effet et la mobilité des impressions l’ont entraîné à bien des inconséquences et à bien des excès. La majesté du trône pouvait le fasciner au point de lui faire oublier les intérêts du peuple ; les applaudissemens du peuple pouvaient l’enivrer au point de lui faire oublier le respect dû au trône. Tout cela dit, Chatham n’en reste pas moins l’un des hommes d’état auxquels l’Angleterre doit le plus de reconnaissance. Il avait le goût du grand et le don de le communiquer ; il a contribué à relever l’âme de ses compatriotes en s’adressant, pour agir sur eux, à leurs meilleurs instincts, il les a conduits par le prestige de l’éloquence, de la probité, du patriotisme et de la gloire. Les nouveaux et nobles moyens de gouvernement que lord Chatham a inaugurés et le succès avec lequel il les a employés font aussi honneur à son temps et à la constitution anglaise.

Pas plus que lord Chatham n’est le modèle idéal d’un ministre constitutionnel, John Wesley n’est le modèle idéal d’un missionnaire chrétien. Sa piété n’était pas exempte de superstition, ni sa rigidité de tristesse. Quand il ne savait quel parti prendre, il tirait au sort la résolution à laquelle il devait s’arrêter, et croyait avoir consulté Dieu ; quand il entendait certains convulsionnaires méthodistes se dire possédés du malin esprit, il ajoutait foi aux extravagances de leur imagination en délire ; quand il donnait des règles aux apôtres qu’il envoyait de lieu en lieu pour appeler les pécheurs à la repentance, il leur imposait les plus dures austérités et leur défendait les plus innocens plaisirs. Il avait peu connu le bonheur terrestre, et il était trop porté à confondre la joie et la gaîté avec le mal ; mais sa foi était agissante et communicative, son courage était à l’épreuve de la moquerie comme de la violence, et son génie d’organisation égalait celui des grands fondateurs d’ordres monastiques. Wesley avait un autre mérite bien plus rare parmi les novateurs. L’esprit de réforme n’avait pas altéré en lui l’esprit de conservation. En fondant une société religieuse, il n’avait pas l’intention de fonder une secte. Ministre de l’église anglicane et témoin de ses défaillances, il avait senti que, pour réveiller le clergé des paroisses, il fallait créer une sorte de clergé régulier, que, pour annoncer l’Évangile à ceux qui n’allaient pas à l’église ou qui n’y entendaient que de froides exhortations, il fallait organiser une armée d’ardens missionnaires, que, pour atteindre le cœur des masses, il fallait aller