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Peut-être était-il réprimandé par un coup d’éventail ou par un fi donc ! mais la belle irritée témoignait son approbation par sa contenance. Elle l’appelait un vilain original, un affreux scélérat. Il haussait les épaules, jurait, recevait un nouveau coup, jurait encore qu’il ne croyait pas avoir juré, et tout était pour le mieux….. Dans tout le cours de mes observations, je n’ai jamais vu un homme vraiment intelligent être le favori général des dames. » Aussi les gens d’esprit hantaient-ils beaucoup plus les cafés que les salons et s’adonnaient-ils beaucoup moins à la galanterie mondaine qu’à de faciles plaisirs qui leur laissaient la liberté de vivre, de causer et de s’enivrer entre eux. Les femmes qui n’aimaient pas la solitude étaient réduites à se consoler avec l’espèce de damerets dont Addison vient de nous peindre l’aimable conversation. Les séductions de cette élégante jeunesse suffisaient souvent à faire damner les pères et les maris, qui, à la fois négligens et despotiques, ne disputaient guère aux galans le cœur de leurs femmes et de leurs filles que lorsqu’il était en révolte ouverte contre leur autorité. Les journaux, les mémoires, les comédies et les romans de l’époque sont pleins d’insurrections féminines et de violences paternelles ou maritales, d’inclinations contrariées, d’enlèvemens, de mariages clandestins, de séparations éclatantes, d’amans poursuivis sur les grandes routes ou pris en flagrant délit dans les auberges, et tout cela raconté avec un cynisme de langage qui à lui seul est le signe d’une grossière dépravation. Addison lui-même, qui était un réformateur moral, écrivait contre les vices et les ridicules de la bonne compagnie avec une impudeur qui aujourd’hui le rend souvent impossible à citer, mais qui, au XVIIIe siècle, le faisait lire par toutes les belles dames de l’Angleterre. Il y avait une certaine élégance à se montrer immodeste et peu dévote. À l’église, des personnes appartenant au meilleur monde affectaient de se faire des signes d’intelligence et d’étouffer de rire en regardant les toilettes hors de mode ou en écoutant les vieilleries morales du prédicateur. Malgré la solennité des révérences et des complimens que les hommes et les femmes de qualité échangeaient entre eux, malgré les raffinemens artificiels de la politesse classique, il y avait dans les habitudes un fonds de vulgarité qui éclatait souvent de la façon la plus grotesque. Un soir que lady Mary Wortley Montagu était allée faire sa cour à George Ier au milieu du sérail de vieilles Allemandes qu’il avait importé en Angleterre, elle redescendait l’escalier du palais en se félicitant d’avoir pu échapper de bonne heure aux ennuis du cercle, lorsqu’elle fit la rencontre du secrétaire d’état Craggs, qui lui demanda d’un air surpris comment elle avait pu se retirer si tôt. Elle répondit que le roi avait eu la bonté de le lui permettre, non sans avoir manifesté