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à leur solde des bandes de libellistes qui rivalisaient de brutalité et d’indécence avec ceux du parti contraire. En fait, la licence de la presse n’a jamais été plus effrénée en Angleterre que pendant la première moitié du XVIIIe siècle. La féroce malice de Swift n’épargnait pas plus l’honneur des femmes et des prêtres que celui des politiques. Ses grossiers imitateurs jetaient cyniquement à la tête de ceux qu’ils avaient pour métier d’insulter les sottises les plus sales et les calomnies les plus subalternes. Malgré les exemples de finesse et d’élégance donnés par Addison, le ton de la dispute était en général bas et dur. Un crime ne pouvait se commettre sans que les journaux whigs l’imputassent aux tories. Un malheur ne pouvait arriver à un whig sans que les journaux tories en fissent des gorges chaudes. Le Weekly Packet, feuille tory, après avoir raconté que le pasteur presbytérien d’Epsom s’était cassé la jambe et qu’on avait dû la lui couper, ajoutait joyeusement : « C’est la preuve que ces prétendans à la sainteté ne marchent pas toujours avec autant de circonspection qu’ils le disent. » Le Weckly Journal, feuille whig, annonçant qu’une femme était morte d’ivrognerie dans la rue, se plaisait « à supposer qu’elle était du parti de la haute église. » Personne n’échappait, personne ne cherchait à échapper à la classification des partis. Les femmes, les enfans, les domestiques se disaient whigs ou tories. Polichinelle se faisait en plein vent homme de cabale ; des pamphlets à un sou se vendaient à profusion dans les rues, des ballades hanovriennes ou jacobites se chantaient sur les places ; les sermons, comme les comédies et les mascarades, avaient une couleur politique. On ne s’occupait pas de son salut, on ne se livrait pas au plaisir, on n’achetait pas, on ne vendait pas sans faire acte de parti. Les cabarets, les cafés, les auberges et jusqu’aux boutiques se rattachaient à l’une ou à l’autre faction. Les femmes whigs et tories se distinguaient par le nombre de leurs mouches, par la couleur de leurs coiffes et par leurs places au théâtre. Les valets des membres des communes tenaient un parlement au petit pied en attendant leurs maîtres à la porte de Westminster, et en 1715 whigs et tories se battirent pendant deux jours à coups de poing sur le choix de leur orateur. Après bien des têtes cassées, les whigs l’emportèrent, et le domestique de M. Strickland fut nommé. Dans la populace au contraire, la domination appartint longtemps aux tories. Lors du procès du docteur Sacheverell en 1710, la foule manifesta sa bienveillance pour le docteur en saccageant une demi-douzaine de chapelles dissidentes aux cris de « vive Sacheverell ! vive la haute église ! » Le jour du couronnement de George Ier, le peuple de Norwich, de Bristol et de Birmingham crut devoir protester contre la cérémonie par le pillage de quelques maisons. Pendant les deux premières années qui