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qui se représentaient l’Angleterre comme toujours à la veille d’un bouleversement, lui paraissaient non moins puérils. « Comme on voit le diable dans les papiers périodiques, on croit que le peuple va se révolter demain ; mais il faut seulement se mettre dans l’esprit qu’en Angleterre comme ailleurs le peuple est mécontent des ministres, et que le peuple y écrit ce que l’on pense ailleurs. »

Quoi qu’il en soit, le sentiment de la stabilité n’existait pas et ne pouvait pas exister en Angleterre après les quatre vingts ans de révolution que ce pays venait de traverser. L’Angleterre avait assisté à la chute de Charles Ier, à celle du long parlement, à celle de Richard Cromwell, à celle de Jacques II ; puis elle avait vu modifier arbitrairement l’ordre de succession à la couronne, d’abord au profit d’un roi qui n’avait pas eu d’enfans et d’une princesse héréditaire qui avait perdu les siens, en second lieu au profit d’une maison allemande. Elle avait vu le nouvel ordre de succession mis en cause par les intrigues des propres serviteurs de Guillaume III avec les Stuarts, par les manœuvres des derniers ministres de la reine Anne en faveur du prétendant, et par le soulèvement des jacobites contre George Ier. Pendant tout le règne de ce prince, elle l’avait entendu chansonner et bafouer, lui et son jargon hanovrien, ses maîtresses hanovriennes, ses favoris hanovriens et sa politique hanovrienne. Elle n’avait ni attachement ni estime pour George II, prince grotesque par son accent et par sa mine, court, laid, lourd, rageur, libertin, qui avait tout d’un caporal allemand sauf la taille, et qui ne se sentait heureux que lorsqu’il était loin de son royaume dans son petit électorat. L’aristocratie whig le soutenait parce qu’il ne gouvernait pas, et la nation parce qu’il n’était pas catholique ; mais un parti nombreux le regardait encore comme un usurpateur et un tyran, on ne comptait pas moins de cinquante jacobites décidés dans la chambre des communes, et ceux même des partisans des Stuarts qui s’étaient vendus au nouveau régime restaient secrètement en correspondance avec le prétendant et l’assuraient que, s’ils l’avaient trahi, c’était pour le mieux servir. « Leur foi est une foi punique, écrivait Chesterfield, la clémence ne les touche pas, et les sermens qu’ils prêtent au gouvernement ne les lient pas. »

Rien n’est plus destructif de l’honneur politique que le spectacle des bouleversemens fréquens et le sentiment de l’instabilité du pouvoir. Quand on croit tout possible, on est bien près de se croire tout permis. Les longues révolutions, même celles qui exercent par leurs résultats la plus salutaire influence sur les mœurs, corrompent ceux qui les font et ceux qui les subissent. Les générations qui se forment au milieu des révolutions sont sujettes au scepticisme, à la duplicité, à l’esprit d’intrigue, d’aventure et d’apostasie. Je ne crois pas que le détestable régime moral auquel Louis XIV soumit la