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George II, dont le fils aîné avait été élevé en Allemagne et ne s’était jamais fait voir en Angleterre : « A propos, quand viendra donc le prince de Galles ? Est-ce qu’on craint de le montrer ? Serait-il aussi sot que son père et son grand-père ? » Dans la société élégante, le prestige de l’autel n’était guère plus grand que celui du trône, à en juger par les impressions du pénétrant voyageur. « Je passe en France pour avoir peu de religion, en Angleterre pour en avoir trop… Si quelqu’un par le ici de religion, tout le monde se met à rire. » Le sens moral, surtout en matière d’argent, lui paraissait aussi beaucoup plus grossier qu’en France. « L’argent est ici souverainement estimé, l’honneur et la vertu peu. » Il trouvait les femmes guindées, les hommes gauches, insociables, égoïstes, durs et cupides, — le peuple ivrogne et voleur, les ministres uniquement préoccupés de vaincre leurs adversaires dans la chambre basse et fort indifférens au bien public, — la nation vénale : « les Anglais ne sont plus dignes de la liberté ; ils la vendent au roi, et si le roi la leur redonnait, ils la lui revendraient encore. » Tout cela dit, Montesquieu n’en discernait pas moins la force et la vertu des institutions anglaises ; il n’en reconnaissait pas moins que, par l’action naturelle de la publicité et du contrôle, les pouvoirs les plus corrompus devenaient souvent les gardiens involontaires des libertés publiques, il n’en remarquait pas moins le rapprochement que les nécessités de la politique amenaient dans ce pays de liberté entre des classes ailleurs hostiles ; il n’en admirait pas moins l’organisation de cette société où les dignités, faisant partie de la constitution fondamentale, étaient plus fixes qu’ailleurs, et où les grands étaient néanmoins plus en contact avec le peuple, où « les rangs étaient plus séparés et les personnes plus confondues. » Malgré les voleurs qui infestaient Londres, malgré la populace qui s’y ameutait dans les rues, malgré les libellistes qui y faisaient commerce de leurs injures, malgré les électeurs qui y trafiquaient de leur vote, il se sentait respirer plus à l’aise en Angleterre que partout ailleurs. « L’Angleterre est à présent le plus libre pays qui soit au monde, je n’en excepte aucune république ; j’appelle libre, parce que le prince n’a le pouvoir de faire aucun tort imaginable à qui que ce soit, par la raison que son pouvoir est contrôlé et borné par un acte… Quand un homme en Angleterre aurait autant d’ennemis qu’il a de cheveux sur la tête, il ne lui en arriverait rien. C’est beaucoup, car la santé de l’âme est aussi nécessaire que celle du corps. » Aussi Montesquieu se moquait-il des frivoles courtisans de Versailles, qui ne pouvaient s’habituer à la vie de Londres et aux manières peu affables de ses habitans. « Il faut faire comme eux, disait-il, vivre pour soi, comme eux ne se soucier de personne, n’aimer personne et ne compter sur personne. » Les sombres pronostics de nos diplomates,