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et venimeux débats, et le parlement, rentré sous la régence en possession des prérogatives politiques dont il avait été dépouillé sous Louis XIV, aurait pu trouver à faire un plus utile usage de ses droits que de se lancer dans une querelle théorique avec l’église sur l’étendue des deux puissances ; mais tels étaient alors dans le public le défaut d’intelligence politique et la vivacité des rancunes contre Rome, que, de toutes les affaires du temps, c’était celle qui avait le plus le don de passionner les esprits. Lorsqu’en 1720 le parlement voulut s’opposer aux abus de l’administration de Law et fut pour ce fait exilé à Pontoise, la cour et le public, « sauf une petite poignée de gens très sages et très prudens, regardèrent le parlement comme assemblée de radoteurs ; » mais lorsqu’en 1732 il s’obstina, malgré les défenses réitérées du roi, à poursuivre un mandement de l’archevêque de Paris qui contenait des propositions ultramontaines, lorsque plus de cent cinquante présidens ou conseillers donnèrent leur démission plutôt que de céder, quitte à reprendre leurs fonctions et à céder quinze jours après, la foule les salua comme de vrais Romains et des pères de la patrie.

Quel que fût d’ailleurs le prétexte de ces passes d’armes entre la magistrature et la cour, elles se terminaient presque toujours par la déroute du parlement. Son humeur le poussait à la contradiction, et sa constitution le condamnait à l’impuissance. Il était organisé pour l’objection, non pour l’action. Mutine, ergoteuse, étourdie, routinière, généralement stérile en résultats pratiques, l’opposition parlementaire ne servait guère qu’à nourrir dans le public un certain esprit de protestation contre le pouvoir. Chez les peuples mal gouvernés, le mécontentement, même inefficace, vaut mieux que l’indifférence. Les parlemens au XVIIIe siècle ont plus souvent entravé les réformes que refréné les abus ; mais ils ont contribué à entretenir en France un peu de vie politique au profit du pays et au détriment du régime absolu. Tel fut leur rôle, et tel sera toujours le rôle des corps purement critiques. Les princes ont tort de marchander la puissance aux assemblées qu’ils autorisent à exprimer les griefs de l’opinion. Le seul moyen de rendre leur intervention innocente, c’est de la rendre efficace. On n’a pas encore découvert d’autre façon de développer dans les assemblées l’esprit de gouvernement que de les associer à l’action et à la responsabilité du pouvoir.

Le public aussi a besoin de se sentir une certaine part d’action et de responsabilité pour acquérir le sens politique. Tant qu’il reste à l’état de spectateur oisif, il se livre sans scrupule au dénigrement et au soupçon, il prend goût à voir le mal ou à le supposer. Le mécontentement devient pour lui un besoin, presque un plaisir. Il n’est pas d’opposition plus dangereuse pour la considération du pouvoir que celle qui est condamnée à se renfermer dans la médisance. Le