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de la plupart de ceux qui prenaient parti pour ou contre la bulle. Les grandes controverses du XVIIe siècle sur la question de la grâce avaient dégénéré en misérables querelles de factions. On ne cherchait plus à vaincre ses adversaires par des argumens ; on se battait à coups de miracles, de contre-miracles, de diffamations, de refus de sacrement, d’appels comme d’abus, d’arrêts, de remontrances, de lits de justice, de lettres de cachet. Les molinistes cabalaient à la cour pour faire tracasser leurs rivaux ; les jansénistes ameutaient le parlement et la populace contre les jésuites ; les indifférens se moquaient ou s’effrayaient de tout ce tapage ecclésiastique, et les philosophes s’empressaient de confondre la religion avec le fanatisme, l’intolérance, la superstition et l’imposture. On ne sait ce qui l’emportait de la folie ou de la supercherie dans les mystères jansénistes. Ici des enfans « initiés dans l’art de convulsionner » gagnaient, suivant le bruit public, jusqu’à 600 livres par an ; là des jeunes filles attirées dans une réunion soi-disant religieuse y perdaient leur innocence ; ailleurs des gens graves se donnaient rendez-vous le soir dans une chambre, garnissaient le seuil de la dépouille d’une oie, se faisaient une petite croix sur le front avec le sang de l’animal, puis, après avoir mangé l’oie, se ceignaient d’une ceinture de cuir et allaient en procession à l’endroit où avait existé autrefois Port-Royal-des-Champs. « Il y a peut-être dans le parlement, lisons-nous dans Barbier, soixante personnes entêtées sur le jansénisme ; mais tout le resté se moque du jansénisme et du molinisme… Ils ne s’embarrassent pas pour le fond de la constitution Unigenitus, pour savoir à quel carat doit être l’amour de Dieu, ni combien de sortes de grâces Dieu a fait faire pour ceux qui habitent ce bas monde. Cela ne les regarde pas, c’est de la théologie ; mais ce qui les lanterne dans la constitution, c’est la quatre-vingt-onzième proposition[1], qui est condamnée, et qui porte que la crainte même d’une excommunication injuste ne nous doit jamais empêcher de faire notre devoir. La cour de Rome prétend que quand elle excommunie, même à tort et à travers, l’on doit suivre ses volontés à la lettre, et que par là elle peut excommunier les rois et dégager les peuples du serment de fidélité… C’est ce qui révolte le parlement et lui fait prendre parti pour l’intérêt du roi, car ceci ne regarde que les têtes couronnées et les souverains. Il ne laisse pas d’être fondé en raison, indépendamment de ce qu’on appelle jansénisme. » La question de l’indépendance des couronnes envers le saint-siège, très pratique au moyen âge, n’était plus au XVIIIe siècle qu’une vieillerie spéculative qui ne pouvait donner lieu qu’à d’oiseux

  1. L’une des cent une propositions jansénistes condamnées par la constitution Unigenitus. La citation est de Barbier.