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mains pures… La corruption ne s’est aucunement glissée dans les bureaux des affaires étrangères ; il en faut convenir comme d’un phénomène qui tient du miracle, et qui fait honneur à la nation française… Le parlement de Paris est composé de magistrats plus difficiles à corrompre que celui d’Angleterre. » Je crois en effet que dans notre pays, mieux que dans tout autre à cette époque, les mœurs nationales défendaient les hommes publics contre les séductions de l’argent, et cependant le sentiment de l’honneur en matière d’argent était fort entamé par la passion du jeu que l’oisiveté entretenait dans les classes supérieures, par la fureur de spéculation que Law et son système avaient éveillée, et par l’exemple de la banqueroute que le gouvernement donnait presque périodiquement aux particuliers.

De déplorables sacrilèges venaient en même temps révéler la décadence du respect pour les choses saintes. En 1720, des mauvais sujets entrent dans l’église de Saint-Germain-le-Vieil, au Marché-Neuf, et remplissent d’ordure tout le maître-autel. « Voilà une vraie impiété sans profit, écrit Barbier, car ils n’ont rien volé. » Deux ans après, le même fait se reproduit à Notre-Dame, et Barbier l’enregistre avec un certain émoi : « Il arrive à présent des choses extraordinaires ; il faut que des gens aient bien le diable au corps pour faire pareille chose. » Et pourtant de tels signes n’auraient pas dû surprendre à une époque où l’exemple du sacrilège partait d’en haut, et où tout Paris se racontait en riant la conversation suivante entre le comte de Noce et le régent au sujet de la nomination de l’abbé Dubois à l’archevêché de Cambrai : « Comment, monseigneur, vous faites cet homme-là archevêque de Cambrai ? Vous m’avez dit que c’était un chien qui ne valait rien ! — C’est à cause de cela, répondit le régent, je l’ai fait archevêque afin de lui faire faire sa première communion. » Et le public, indigné de l’acte, éclatait de rire en répétant le propos. On s’amusait de la religion ; mais on s’en amusait encore avec une certaine peur de l’enfer. Ceux même qui craignaient le moins Dieu pensaient parfois au diable avec inquiétude. La passion du merveilleux et celle de la critique moqueuse se partageaient les âmes. Les miracles du diacre Paris, comme les plaisanteries de Voltaire, répondaient aux goûts du temps et s’attaquaient à l’autorité de l’église. Après avoir été une secte théologique attachée avant tout à certains dogmes positifs, le jansénisme, dénaturé par la persécution, n’était plus guère qu’une forme superstitieuse de l’esprit de révolte contre le saint-siège. D’après Barbier, dès 1728, « le gros de Paris, hommes, femmes, petits enfans, était janséniste, c’est-à-dire en gros, sans savoir la matière contre la cour de Rome et les jésuites. » En effet, le fond des doctrines condamnées par la bulle Unigenitus était fort oublié