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France croyait avoir marché depuis de longues années vers le gouvernement libre ; ils lui ont dit qu’elle se trompait sur le but qu’elle avait poursuivi, que l’autorité absolue d’un représentant de la souveraineté populaire était le régime auquel tendait notre civilisation, le seul régime qui convînt au génie des sociétés démocratiques et des races latines, le seul régime qui pût faire leur grandeur. Cette franche et originale façon de nous affirmer que nous ne devions plus attendre aucun progrès, tout étant déjà pour le mieux dans notre pays, a sans doute paru de nature à effaroucher les esprits qui s’étaient fait une autre idée de la terre promise, et qui, la voyant si peu semblable à ce qu’ils avaient rêvé, se prenaient à regretter le pays d’Égypte. Ce qui est certain, c’est qu’on a renoncé à peu près à nous prouver que nous sommes en possession de la terre de Chanaan, et qu’on préfère nous la montrer à l’horizon comme une récompense dont nous ne sommes pas encore dignes. Avant d’entrer en possession du gouvernement libre, le peuple français doit avoir, nous dit-on, comme le peuple anglais, accepté sans arrière-pensée la dynastie régnante et pris l’habitude de faire lui-même ses affaires.

Le système d’éducation politique auquel on nous soumet est-il le mieux choisi pour assurer ce double résultat ? À cette question l’histoire répond négativement. L’histoire nous apprend que le régime arbitraire ne mène les peuples à la liberté qu’en passant par la révolution, et que le régime constitutionnel pratiqué sincèrement peut être pour une dynastie nouvelle un moyen de se faire accepter. Pendant qu’au XVIIIe siècle, sous la tutelle absolue de ses rois, la France marchait à l’anarchie et à la république, en Angleterre, des princes étrangers à la nation y rétablissaient le bon ordre et y fondaient un trône sous le contrôle jaloux d’un peuple qui ne les aimait pas. Pendant que la foi religieuse, les freins moraux et le sentiment monarchique disparaissaient chez nous, ils reparaissaient chez nos voisins. Pour comprendre toute la portée de cet exemple, il faut mettre successivement en regard l’état moral des deux pays au commencement et au milieu du XVIIIe siècle. L’Angleterre, sortant des aventures révolutionnaires qui se sont terminées par l’établissement de la maison de Hanovre, était aussi corrompue sous George Ier que la France, sortant des mains de Louis XIV, l’était sous la régence ; mais l’Angleterre était pourvue d’institutions qui travaillaient sans cesse à lui rendre la santé, tandis que la France était affligée d’une forme de gouvernement qui ne lui permettait guère d’échapper à la décomposition que par une crise née de l’excès même du mal[1]. C’est pourquoi l’on voit, moins de cinquante ans plus tard, l’Angleterre

  1. Voyez la Société française sous Louis XV dans la Revue du 1er juin 1863.