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— Allons, allons, répliqua Mme Du Hautchet en achevant la toilette de Frédérique, vous ne dites pas ce que vous pensez.

Dans cet entretien, comme dans tous ceux qu’elle eut souvent avec Mme Du Hautchet, qui ne cessait de l’obséder de ses questions, Frédérique fut toujours aussi réservée, repoussant l’idée qu’on lui prêtait d’avoir pour le chevalier d’autre sentiment que celui de la reconnaissance. Elle poussa même si loin la dissimulation ou l’hésitation, que, devant aller passer une journée à Manheim chez une dame qui connaissait Lorenzo, elle empêcha que le Vénitien ne fût de cette partie de plaisir, où devait se trouver Wilhelm de Loewenfeld.

Le mariage d’Aglaé se fit avec beaucoup d’éclat dans la petite église de Schwetzingen, en présence d’une grande partie de la population de la ville. M. Rauch était à l’orgue, Frédérique et Fanny chantèrent un motet à deux voix de Mozart, plein d’onction et de douce piété. Après la cérémonie religieuse, on se rendit à la maison de Mme de Narbal, où l’on avait préparé un dîner splendide qui fut long, bruyant, très animé par des conversations assez graves, car on était à la veille de la révolution de 1830. Parmi les convives, outre le nouvel époux, M. de Lajac, et deux autres Français qui l’avaient suivi pour lui servir de témoins, on remarquait le docteur Thibaut, le baron de Loewenfeld, son fils Wilhelm et Mme Du Hautchet. Après le dîner, qui finit, selon la coutume allemande, vers les quatre heures de l’après-midi, Mme de Narbal proposa à ses invités de faire une promenade dans le jardin de Schwetzingen. On était au mois de juillet, la journée avait été chaude et belle. En passant sur la place qui est en face de la grille du château, on aperçut un grand rassemblement autour d’une bande de musiciens qui jouait des valses. C’étaient les musiciens ambulans que le chevalier avait rencontrés sur la plate-forme du château de Heidelberg, et parmi lesquels se trouvait son jeune compatriote, le violoniste italien Giuseppe Zanotti. Il lui vint à l’idée d’engager ces braves gens à suivre la compagnie dans le jardin, et de procurer ainsi aux convives une agréable surprise. Sans rien dire à personne, il fit conduire la troupe des ménétriers auprès du lac, et il ordonna au domestique qu’il chargea de cette mission d’y faire aussi apporter des chaises. Après un long circuit dans le parc, parvenus près du bois qui entoure le lac, les promeneurs furent bien étonnés d’entendre des bouffées d’harmonie se répandre dans cette solitude délicieuse.

— Ah ! s’écrie, Mme de Narbal en voyant les musiciens et les chaises rangées en cercle en face du lac, voilà une galanterie du docteur Thibaut.