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drames écrits dans la langue nationale à l’opéra italien, qui régnait dans toutes les cours princières de ce grand pays. Parmi ces musiciens novateurs, dont le plus grand souci était de rendre le sens des paroles et la vérité des sentimens, d’abandonner les formes impérieuses de la dialectique scolastique pour suivre le libre mouvement de la fantaisie, on remarque surtout Reinhard Keiser, musicien de génie venu un peu avant le temps, véritable bel esprit de la renaissance, tout épris de la vie et heureux de pouvoir en exprimer les aspirations. Homme instruit, homme du bel air, aimant le monde, la vie élégante, Keiser eut dans l’esprit quelque chose de l’audace et de la désinvolture de Monteverde, le créateur de l’opéra italien, le révélateur de la modulation moderne. Comme le maître vénitien, Keiser a eu plus que le pressentiment de l’impulsion nouvelle qu’il imprimait à l’art, car il a dit, dans une préface curieuse mise en tête de l’une de ses publications, que la musique devait suivre l’action tracée par le poète et en exprimer les situations. Or, à l’époque où vivait Keiser au milieu de laborieux contre-pointistes attachés à la glèbe de la forme, ces paroles contiennent le principe de la renaissance, c’est-à-dire de l’émancipation de l’art. Keiser a eu encore cela de commun avec Monteverde, que son instinct dramatique lui a fait employer presque tous les instrumens connus de son siècle en les groupant avec une grande liberté, selon le caractère du personnage et de la scène. C’est ainsi qu’on trouve dans l’œuvre du compositeur allemand des morceaux, surtout des airs, accompagnés tantôt par un clavecin et des instrumens à cordes, tantôt par un simple quatuor, — flûtes, violes ou hautbois. Ce sont là les tâtonnemens d’un homme de génie qui s’essaie à marier heureusement les couleurs de l’instrumentation, à réunir et à préparer les élémens de la musique dramatique encore dans l’enfance.

Après l’audition de quelques fragmens des opéras de Keiser, de Schütz et d’autres compositeurs de la même période, M. Thibaut reprit la parole. — Ces différens morceaux, dit-il, sont du plus grand intérêt historique. Ils nous donnent une idée des premiers essais du drame lyrique dans notre pays et constatent l’effort, souvent heureux, d’un groupe de musiciens, de poètes et d’artistes ingénieux qui ont voulu, à l’instar de l’Italie et de la France, créer un opéra national. En examinant avec attention les ouvrages de Keiser et ceux de ses contemporains, on y trouve les germes, les linéamens du style grandiose et savant que développeront plus tard les deux plus grands musiciens qu’ait produits notre pays dans la première moitié du XVIIIe siècle, Haendel et Sébastien Bach. Il ne faut pourtant rien exagérer. Aucun des opéras de Keiser et de ses émules