Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/198

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élégantes, mais simplement mises, qui occupaient tout un côté de l’estrade, tenant d’une main un cahier de musique et de l’autre un bouquet de fleurs. Appartenant aux différentes classes de la société, ces jeunes filles, riches ou pauvres, nobles ou plébéiennes, se réunissaient sans morgue et sans prétentions, pour le plaisir de chanter. C’est l’honneur de l’Allemagne et ce qui fait sa grande supériorité sur les autres nations de l’Europe d’avoir toujours cultivé les arts naïvement, avec le soin et l’amour qu’on doit mettre aux choses les plus sérieuses de la vie. Le peuple allemand considère la musique comme une partie de la religion nationale qui relie entre elles par l’admiration et par l’amour les différentes fractions d’une race que divise la politique des vieilles familles régnantes.

Lorsque le chevalier Sarti entra dans la salle du concert, son premier regard se porta vers l’estrade, où sa place était retenue à côté de Mme de Narbal. Il aperçut Frédérique assise auprès de Wilhelm à quelques pas de la comtesse, et ressentit un malaise dont il eut peine à comprimer les effets. Il tremblait comme un enfant, et ne répondit qu’avec un embarras visible à Mme de Narbal, qui le pressait de questions ; il n’eut pas même la présence d’esprit de saluer Frédérique, malgré les efforts qu’elle faisait pour être vue de lui. Heureusement le concert commença : c’était un concert vraiment historique, divisé en deux parties, et qui permit à Lorenzo d’affecter le calme en ne paraissant occupé que de la curieuse musique qu’on allait exécuter. La première partie du concert organisé par M. Thibaut était consacrée aux musiciens allemands du XVIe siècle, qui se débattent encore dans les entraves de la dialectique scolastique, et s’efforcent d’épurer l’harmonie en tirant quelques effets heureux des combinaisons ardues du contre-point. Dans la seconde partie étaient rangés les compositeurs allemands qui les premiers ont essayé d’exprimer en musique les jeux de la fantaisie naissante et les sentimens du cœur humain. Après quelques explications données par le savant docteur Thibaut sur le caractère des morceaux qu’on allait entendre, le programme s’ouvrit par une chanson allemande à quatre voix de Henri Isaac, maître de chapelle de l’église de Saint-Jean à Florence du temps de Laurent le Magnifique et de Politien, qui mentionne son nom dans l’une de ses épigrammes latines. Ce musicien, qui eut une grande réputation à la fin du XVe siècle, fut surnommé par les Italiens Arrigo Tedesco. Après le morceau d’Isaac, qui n’avait de remarquable que certains détails harmoniques que le docteur Thibaut fit ressortir, on exécuta une autre chanson allemande à quatre parties de Louis Senfel, élève d’Henri Isaac, contemporain et ami de Luther, qui a laissé une quantité énorme de compositions savantes. Une chanson à quatre voix d’un rhythme plus