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et touche aux ressorts du gouvernement des sociétés. Tout était grave aux yeux de ce vieux conseiller, et son esprit, qui ne manquait pas de sagacité, n’osait produire un fait qu’appuyé sur des documens officiels et des citations savantes. Protestant et un peu théologien, comme le sont tous les protestans allemands, fier de sa petite noblesse et du rang qu’il occupait dans la hiérarchie sociale de son pays, M. de Loewenfeld était un ennemi déclaré des idées nouvelles et de la révolution française, qui en est la source immortelle. Défenseur de l’ordre, comme il aimait à se qualifier lui-même avec emphase, partisan passionné du gouvernement des minorités, M. de Loewenfeld était un de ces cerveaux étroits comme on en trouve partout, qui prennent les mœurs de leur temps et de leur pays pour la mesure du juste et du possible. Il n’appréciait les hommes que par la considération extérieure qui s’attache à eux, par le rang qu’ils occupent dans l’opinion et dans la société. Les grandes qualités des âmes naïves, les intuitions divines de l’enthousiasme, les pressentimens merveilleux de l’imagination qui devance l’expérience et illumine la raison, les vertus héroïques qui s’élancent dans le vide ou qui s’immolent stérilement, tout cela était lettre close pour le docte baron de Loewenfeld. Il n’estimait que la science qui repose sur d’immenses labeurs, que la vérité déduite d’un syllogisme péniblement édifié, que les vertus qui s’escomptent et que couronnent les académies, que les œuvres d’une utilité immédiate. Il fallait appartenir à une corporation savante constituée sous l’œil de l’état, ou porter à la boutonnière un signe quelconque de valeur légale, pour exciter l’enthousiasme et mériter la considération de M. de Loewenfeld. Le génie lui-même n’avait tout son prix aux yeux de M. le conseiller intime que lorsqu’il lui était garanti par une fonction publique ou par la faveur du prince. Aussi Goethe était-il pour M. de Loewenfeld le plus grand poète du monde, non parce qu’il a écrit Faust, Hermann et Dorothée, Werther, Wilhelm Meister, mais parce qu’il était l’ami et le ministre du grand-duc de Saxe-Weimar.

Il était impossible que le hasard rapprochât deux hommes plus opposés d’instincts, d’éducation et de tendances que ne l’étaient le chevalier Sarti et le baron de Loewenfeld. Les pays auxquels ils appartenaient l’un et l’autre n’étaient pas plus différens que leurs caractères. C’est très sérieusement que le chevalier considérait le sentiment de l’amour comme la source de la grandeur morale et intellectuelle de l’homme. — La raison, disait-il souvent, n’est que la faculté de l’ordre qui conserve et coordonne les faits connus, mais qui ne peut rien créer sans le mouvement qui lui vient de l’inspiration. Tout ce qui se fait de grand, de hardi et de beau, dans la science, dans les arts ou dans la morale, est le produit d’un acte