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voir dans Lorenzo Sarti qu’un homme aimable, dont il était bon d’utiliser les conseils. Que se passait-il donc dans le cœur de cette jeune fille, et de quel genre était l’affection qu’elle lui témoignait ? Était-ce une sorte d’enivrement poétique, un engouement passager de la vanité satisfaite ? Un mirage de l’imagination transfigurait-il Lorenzo à ses yeux sans que son cœur en reçût d’autres atteintes qu’une émotion agréable qui n’engageait pas sa liberté ? Le chevalier, qui se posait ces questions délicates, n’était pas aussi habile à les résoudre. Se croyant toujours le maître de son secret, il se laissa persuader à demi par les apparences, qui étaient favorables à sa passion, et, sans s’avouer à lui-même ce qu’il devait espérer d’un amour chimérique, sans trop s’inquiéter de ce que lui réservait l’avenir, il se livra de nouveau au bonheur de vivre auprès d’une jeune fille d’une si haute distinction.


II

Malheureusement le chevalier se trompait en croyant que son amour pour Frédérique était resté inconnu de tous. Depuis longtemps, sa conduite était épiée avec une curiosité maligne. Mme Du Hautchet ne pouvait lui pardonner l’attitude dédaigneuse qu’il avait opposée à ses prévenances. Elle avait cru un moment trouver dans la présence du chevalier à Schewtzingen la solution du problème de sa vie. Veuve à un âge qui n’était plus le printemps, mais qui n’était pas encore l’automne, elle s’était dit que cet étranger sans fortune, sans état et sans famille, pouvait la sauver de l’ennui qui la dévorait. Comment ne serait-il pas heureux de se marier avec une femme agréable, riche, ayant des loisirs et beaucoup de sensibilité sans emploi qu’elle serait fière de pouvoir lui consacrer ? C’est ainsi qu’avait raisonné Mme Du Hautchet en essayant un manège de coquetterie qu’elle ne cessa que lorsqu’elle fut bien convaincue que ses offres de service n’étaient point agréées. Elle devint alors soucieuse, et mit tout en œuvre pour découvrir la cause du mécompte qu’elle éprouvait. Mme Du Hautchet crut s’apercevoir que Lorenzo avait une préférence pour Fanny, la fille de Mme de Narbal ; mais ce soupçon fit bientôt place à une conjecture mieux fondée : elle devina l’intelligence qui s’était établie entre le Vénitien et la riche héritière des Rosendorff. Elle n’était pas femme à comprendre la nature du sentiment que ressentait le chevalier pour Frédérique, ni disposée à juger avec indulgence les rapports innocens d’un homme de son âge et de son esprit avec une jeune personne pleine d’imagination et d’attraits. Elle vit et voulut voir dans ces entretiens fréquens et délicats ce qu’il était si facile de supposer : les