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Tourville, mais je soupçonne que si la chose fût arrivée à la Normandie, si sévèrement attaquée, il en eût peut-être été glosé.

Nos bâtimens cuirassés ont des tangages infiniment plus doux et ils ont des roulis qui ne sont pas plus considérables que ceux des meilleurs navires connus avant eux, voilà ce qui est aujourd’hui démontré par l’expérience : c’est déjà très satisfaisant ; mais il y a mieux encore. Cette même expérience semble aussi prouver que sans doute ils s’amélioreraient, même à cet unique point de vue, si l’on augmentait d’une certaine proportion la quantité des poids qu’ils portent aujourd’hui dans les hauts. Or cela peut avoir des conséquences extraordinairement importantes en augmentant de beaucoup non pas seulement la valeur nautique, mais aussi l’efficacité de puissance de ces bâtimens. Ils ont révélé à la voile des qualités tout à fait inattendues, même de leurs plus chauds partisans, et alors il est naturellement venu à l’esprit de tout le monde que si l’on disposait d’une certaine quantité de poids à leur ajouter dans les hauts, on ne pouvait en disposer plus utilement qu’en augmentant la force de leurs mâtures et la superficie de leurs voiles. Cela en vaudrait grandement la peine, si l’on songe aux résultats de vitesse et de manœuvre qui ont été obtenus. Jusqu’ici, l’on n’avait généralement considéré la voilure des bâtimens cuirassés que comme une ressource suprême pour un cas d’avarie qui, paralysant la machine, forcerait le navire à gagner le port le plus prochain en faisant vent arrière, en fuyant devant le temps. Au grand étonnement de tout le monde cependant, voici que l’on vient de voir nos navires cuirassés naviguer à la voile pendant des journées et des nuits entières, et naviguer en escadre à des distances régulièrement observées, sans que l’ensemble fût disloqué, On supposera peut-être que, pour se donner le plaisir d’avoir à constater des faits si peu prévus, on choisit certaines allures qui sont plus faciles à soutenir que les autres. Il n’en est rien, nos navires cuirassés ont navigué à la voile sous toutes les allures, y compris celle du plus près. Ils ont couru des bordées, ils ont viré vent devant avec la plus grande facilité, vent arrière plus lentement, mais sûrement, sans employer le secours de leurs machines, sous la seule impulsion de leurs voiles. Ils ont même si bien réussi, que dans le canal qui sépare les Açores des Canaries, et quoiqu’on fût au milieu des terres, c’est-à-dire des dangers, l’amiral a fait naviguer ses vaisseaux à la voile, leur a fait exécuter de jour et de nuit des viremens de bord, l’escadre étant rangée sur deux files et aux distances rapprochées de trois et quatre encablures (600 et 800 mètres), sans qu’il en soit résulté aucun accident. Faut-il ajouter que plusieurs fois le Tourville lui-même a manqué à virer, lorsque les navires cuirassés exécutaient facilement cette manœuvre ? Quelque chose qui semblera plus extraordinaire