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avantage auquel on attribue trop d’importance peut-être. La division a tiré le canon presque tous les jours, et elle a pu le tirer dans des états de la mer où le combat eût été chose à peu près impossible. On ne se bat que par le beau temps à la mer ; lorsqu’elle est assez agitée pour imprimer aux bâtimens des roulis de 10° à 12° sur un bord, le tir de l’artillerie devient presque illusoire, même avec les meilleures pièces et avec les meilleurs canonniers. Je ne connais pas dans l’histoire navale de défaite subie, soit dans un engagement particulier, soit dans une grande bataille, parce que l’un des adversaires aurait eu ses batteries éteintes par la mer, tandis que l’autre aurait pu continuer son feu, grâce à la hauteur de ses batteries au-dessus de l’eau.

Le roulis joue donc un grand rôle dans cette question ; mais avant d’en parler, qu’il me soit permis de dire d’abord un mot du tangage, c’est-à-dire des oscillations dans le sens de la longueur des navires, parce que je pense que c’est un point sur lequel tout le monde est aujourd’hui d’accord. Les mouvemens de tangage des bâtimens cuirassés sont, au témoignage universel, d’une douceur et d’une facilité exceptionnelles, inconnues jusqu’à eux. Ces bâtimens ont prouvé qu’ils peuvent tenir debout par la plus grosse mer sans abattre, même avec une petite vitesse, qu’ils peuvent fuir devant le temps sans que la mer embarque par l’arrière, malgré la finesse de cette partie, et que dans ces deux cas leurs roulis sont d’une modération extraordinaire. Cela s’est trouvé vrai pour tous dans toutes les circonstances du temps, du vent et de la mer. C’est à ces qualités caractéristiques qu’ils doivent l’impunité comparative avec laquelle ils ont subi le coup de vent du 1er octobre, lorsque le Napoléon avait sa poulaine défoncée, lorsque le Talisman fatiguait horriblement, embarquait de l’eau par l’arrière et par l’avant, éprouvait les avaries qui l’ont obligé de passer au bassin. Il y a sur ce point force de chose jugée.

La question des roulis, c’est-à-dire des mouvemens que le bâtiment décrit transversalement d’un bord sur l’autre, a été déjà fort controversée, et sans doute elle le sera encore ; mais dès aujourd’hui les faits prouvent que les navires cuirassés, n’ont de ce chef aucune comparaison à redouter. Ni pendant le coup de vent, ni dans les beaux temps qui ont suivi, ils n’ont roulé plus que les autres ; le nombre de leurs oscillations transversales n’a pas été plus considérable, l’amplitude de ces oscillations n’a pas été plus grande pour eux que pour les autres. Dans la réalité, c’est un problème qui paraît être tout à fait indépendant de la cuirasse. Pour beaucoup de raisons, il ne m’appartient pas de vouloir faire une théorie du roulis, de ses causes et de ses effets ; mais il en est une qui suffirait pour m’arrêter, c’est qu’aujourd’hui les hommes les plus