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attaque soudaine, à qui fera-t-on jamais croire que la nation qui s’est immortalisée par l’héroïque défense de Missolonghi derrière de simples retranchemens de campagne n’aurait pas su défendre les formidables remparts de Corfou ?

Bien plus, en ordonnant la démolition des forteresses de Corfou, le traité du 14 novembre va directement à l’encontre du but de sécurité européenne qu’on a prétendu y poursuivre. Pour quiconque a vu ces forteresses, la destruction complète en est impossible. On ne peut les faire sauter sans du même coup ruiner la ville et obstruer la rade. Quant à les démolir à la pioche, c’est un travail qui demanderait des millions et qui est d’ailleurs impraticable pour les portions de la Citadelle-Vieille établies dans le roc même, ainsi que pour les galeries souterraines sous lesquelles s’abritent les canons du Vido. L’Angleterre, en évacuant Corfou, devra donc forcément se borner à un désarmement et à un démantèlement des forts ; mais tout le monde sait qu’avec quelques milliers de bras on remet vite en état de défense une place soumise à cette opération. Les forteresses de Corfou maintenues auraient été sans peine défendues par les Grecs assez longtemps pour que l’Europe pût venir à leur secours ; désarmées et démantelées, elles seront à la merci du premier qui voudra y jeter dix mille hommes, et celui-ci aura le temps de s’y rendre inexpugnable avant que les forces des autres puissances ne soient venues l’en déloger.

Cependant la démolition des forteresses n’a pas suffi. On a demandé la neutralisation de tout le territoire ionien. D’où vient cette différence de conditions établie entre les deux portions qui vont désormais constituer le royaume hellénique, cette neutralisation des sept îles quand la Grèce n’a pas été déclarée neutre ? C’est, dit-on, pour garantir la Turquie contre une attaque qui partirait de Corfou ; mais dans ce cas il eût fallu neutraliser la Grèce entière, car on prouverait difficilement que Corfou soit plus près de la Turquie que Lamia, que Vonitza, que toute la ligne des frontières continentales de la Grèce, et qu’une attaque pût en partir plus facilement. Le traité ne se borne pas, du reste, à neutraliser les sept îles, il aggrave les conditions ordinaires de la neutralité en stipulant que le gouvernement grec ne pourra y entretenir aucune force navale et n’y placera en garnison que le chiffre de troupes strictement nécessaire à la police intérieure. Ceci est plus sérieux encore que les dispositions précédentes, car c’est une limitation de la souveraineté du roi des Hellènes dans une partie de ses propres états. Jamais semblable décision n’a été prise qu’à l’égard d’un vaincu que l’on tenait en suspicion et que l’on voulait réduire à l’impuissance. La Grèce est-elle un vaincu pour que l’on vienne lui dicter de si dures