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aussi civilisée, aussi raffinée même que la nôtre ou que celle de l’Italie. Tandis que les Grecs ont, pendant quatre siècles, été ramenés vers la barbarie, d’où il leur faudra bien des années encore pour achever de se dégager complètement, les Ioniens ont constamment suivi le mouvement de progrès de la société occidentale. Les dominations étrangères qui ont successivement pesé sur eux les ont largement servis sous ce rapport. Les Vénitiens les ont initiés aux arts, aux lettres et à la vie européenne ; les Français leur ont révélé les idées modernes et appris l’administration ; les Anglais leur ont fait connaître, un peu rudement peut-être, mais d’une manière sûre et correcte, la vie parlementaire, ses droits, ses devoirs et le jeu de ses institutions. Ils sont maintenant assez formés pour servir d’instituteurs, et de guides aux autres Grecs, pourvu qu’ils aient la prudence de dissimuler un peu la supériorité de leur éducation et de leur expérience, afin de ne pas soulever de trop grandes jalousies.

L’annexion des Iles-Ioniennes est donc un événement qui peut avoir les plus grandes conséquences pour l’avenir de la Grèce. Des deux côtés, l’avantage paraît évident. Les Ioniens trouvent un profit pour leurs intérêts matériels et une satisfaction pour leur patriotisme en s’unissant au royaume hellénique. En même temps la Grèce, au point de vue moral et politique, ne gagne pas moins à recevoir dans son sein les habitans des sept îles.


III

Lorsque l’on apprit en Europe que l’Angleterre se décidait à renoncer au protectorat des Iles-Ioniennes pour leur permettre de s’unir à la Grèce, et lorsqu’on vit cette promesse recevoir un commencement d’exécution, le sentiment général fut celui de l’admiration pour une telle générosité. Un grand gouvernement abandonnant une possession aussi importante au point de vue stratégique pour satisfaire aux vœux d’indépendance exprimés par la population, c’était un fait sans précédent peut-être dans l’histoire. Les amis du gouvernement libre avaient de quoi s’en réjouir et en être fiers, car la Grande-Bretagne donnait au monde en cette circonstance, un éclatant exemple de la puissance de la publicité et de la justice dans un pays de liberté.

Les circonstances avaient en définitive placé l’Angleterre dans la nécessité de consentir à l’union pour se délivrer d’un embarras qui pesait d’un poids considérable sur l’ensemble de sa politique en Europe. La campagne des Ioniens contre le gouvernement protecteur avait été si habilement conduite, que depuis quinze ans l’administration du pays était devenue impossible et que trois lords