Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela que le gouvernement n’hésite pas à aborder la question, malgré ses difficultés, avec prudence et résolution. Il faut qu’il la mette immédiatement à l’étude en s’aidant des lumières des hommes instruits et pratiques que Corfou possède en grand nombre, et qu’il décide lequel, il vaut mieux employer des deux systèmes qui seuls peuvent faire cesser cet état de choses : la création d’une institution spéciale de crédit agricole prêtant aux paysans avec un faible intérêt (et qui dit faible pour l’Orient dit 5 et 6 pour 100) les sommes nécessaires au rachat des droits qu’ils paient aux anciens propriétaires, ou bien un partage proportionnel de la propriété franche et nette du sol entre les propriétaires et les colons, analogue à celui qui a été adopté en Russie pour résoudre la question du servage.

Quant à ce que les Ioniens unis à la Grèce pourront avoir à souffrir de l’état social imparfait de ce pays, des ambitions et de la rapacité de ses hommes politiques, de l’inexpérience de ses administrateurs, nous ne nous le dissimulons pas plus qu’eux, et nous savons qu’ils auront besoin plus d’une fois d’être soutenus par le patriotisme dans leur nouvelle situation ; mais les inconvéniens qu’ils ont à rencontrer sous ce rapport ne sont pas plus grands que ceux dont ils souffraient sous le protectorat anglais. Est-il d’ailleurs à supposer qu’un pays voie sa population s’augmenter d’un quart et reçoive dans son sein une pléiade d’hommes tels que ceux qui se rencontrent aux Iles-Ioniennes sans que ces hommes et la population annexée tout entière exercent une action considérable sur son gouvernement et son administration ?

Cette population ionienne, il est bon de le rappeler, est une des plus intelligentes parmi celles qui représentent aujourd’hui la race hellénique. Placés au point de contact de l’Italie et de la Grèce, les Ioniens participent aux dons et aux qualités de deux civilisations. Par l’imagination, l’entrain, l’enthousiasme quelquefois un peu emphatique et théâtral, le sentiment des arts et surtout de la musique, ce sont de véritables Italiens, et l’on voit bien vite que la domination de Venise a laissé des traces ineffaçables dans le sang de ses anciens sujets. Tandis qu’un Grec qui ne chante pas faux est un phénomène presque introuvable dans le royaume hellénique ou dans les provinces grecques de la Turquie, on ne rencontrerait pas dans l’Italie entière une population plus merveilleusement organisée pour l’art musical que celle des Iles-Ioniennes, particulièrement de cette terre de Zante que les Vénitiens appelaient « la fleur du Levant. »

Zante, Zante,
Fior di Levante.

Les barcaroles zantiotes, inconnues encore en Occident, donneront