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et à se borner à recueillir seulement certaines productions qui ne lui demandent aucun travail et dont la vente est au moins sûre. Cette première cause disparaîtra par suite de l’union à la Grèce, puisque dans le royaume hellénique l’impôt sur les oliviers est fixe et se paie par pied d’arbre, au lieu d’être proportionnel et basé sur la récolte. Malheureusement une cause bien plus décisive encore de la déplorable situation des campagnes de Corfou réside dans la constitution compliquée et vicieuse de la propriété. La condition des paysans, par un reste du régime féodal du temps des Vénitiens, y est presque la même qu’en Irlande. Il y a des propriétaires qui appartiennent tous aux anciennes familles aristocratiques et ont droit à une certaine redevance sur les produits de la terre, et au-dessous d’eux, au lieu de simples fermiers, un colonat héréditaire dont l’éviction ne peut s’opérer qu’au moyen de formalités judiciaires coûteuses et d’une longueur excessive. L’hérédité de ce colonat a fini par constituer entre les mains des paysans un véritable droit de possession. Presque partout leurs redevances sont arriérées, et souvent ils en contestent la légitimité. Avec le temps, il s’est élevé un tel conflit entre les droits des propriétaires et ceux des colons que l’on ne peut plus abattre un arbre, en planter un nouveau ou mettre en culture une terre demeurée en friche sans voir naître un procès dont il est impossible de prévoir le terme. Aucun changement, aucune amélioration n’était possible à espérer tant que durait la domination britannique. Au lieu de prêter les mains à une tentative de réforme dans les conditions de la propriété, les lords hauts-commissaires, travaillaient volontiers à augmenter les complications, car ils y trouvaient un double avantage. En maintenant un antagonisme entre la classe des propriétaires et celle des paysans, ils facilitaient l’exercice de leur autorité d’après cette vieille et funeste maxime que « diviser c’est régner. » En même temps ils aimaient à voir les familles de l’aristocratie ionienne obérées, embarrassées dans leurs affaires, ne tirant plus aucun revenu de leurs terres, ce qui les obligeait, pour pouvoir soutenir leur rang, à renoncer à toute indépendance politique et à solliciter les gros traitemens du gouvernement protecteur. Il n’en sera plus de même après l’union. Le gouvernement hellénique aura tout intérêt à faire cesser un état de choses qui ruine le pays, qui divise la population, et qui pourrait, en se prolongeant encore, amener un jour toutes les difficultés d’une formidable question agraire. Une réforme est donc possible à espérer par suite du changement de régime, et cette réforme aura pour effet de faire trouver à Corfou d’immenses avantages dans un événement qui semble au premier abord devoir porter le plus grand préjudice à l’île où était le siège du gouvernement ionien ; mais il faut pour