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vite des symptômes de souffrance cachés au premier coup d’œil ; il reconnaîtra que beaucoup de choses qu’il avait admirées, les routes par exemple, n’existent qu’auprès des villes et manquent dans le reste du pays. Puis, s’il réfléchit un peu au sort si différent des deux pays dans le passé, il se souviendra que la Grèce, soumise durant quatre siècles au despotisme barbare des Osmanlis, a conquis, il y a trente ans, sa liberté au prix de dévastations dont on n’a pas eu d’autre exemple dans les siècles modernes, tandis que les Iles-Ioniennes n’ont jamais porté le joug turc, et, avant d’arriver aux mains des Anglais, ont passé de l’habile gouvernement de Venise à une liberté presque complète sous le protectorat russe, puis à la domination de la France de l’empire, qui, si elle n’était pas libre, avait du moins une excellente administration. Il comprendra dès lors que la plus grande partie des avantages dont il était disposé à faire honneur au gouvernement anglais des sept îles sont dus aux Vénitiens, aux Russes, aux Français, et que le contraste qui avait au premier moment frappé ses yeux n’est en réalité que celui d’un pays longtemps malheureux qui commence à renaître au souffle de la liberté, qui se débrouille lentement du chaos de sa formation, avec un pays longtemps florissant qui, portant encore les traces de son ancienne splendeur, décline rapidement sous l’influence d’une mauvaise administration.

Les Iles-Ioniennes paient beaucoup moins d’impôts que la Grèce : c’est un fait incontestable, et dont les Anglais font grand bruit ; mais ce qu’ils n’ajoutent pas, c’est que ces impôts sont établis de telle façon qu’ils atteignent principalement les classes agricoles et ouvrières. Les Iles-Ioniennes, par un phénomène unique en Europe, ont l’impôt progressif à rebours ; contrairement à toutes les règles de la proportionnalité et de la justice, l’impôt pèse en raison inverse des facultés et des revenus. L’homme riche qui vit sans travailler, le propriétaire, ne paie rien ou presque rien ; le paysan, le colon, qui doit vivre de son labeur, est écrasé d’un fardeau insupportable. C’est qu’en effet l’impôt le plus naturel, le plus équitable, le mieux fondé de tous, l’impôt foncier, n’existe pas dans les sept îles. D’après un système d’une perception plus facile peut-être, mais dont l’emploi exclusif a été condamné en principe par les économistes, les impôts indirects y sont seuls en usage, et le mode d’après lequel ils sont établis n’a peut-être d’analogue que dans la Turquie. Les produits du pays sont frappés à l’exportation de droits énormes ; sur les deux plus importans, ceux qui constituent presque le seul commerce des sept îles, l’huile et le raisin de Corinthe, ils sont de 19 1/2 pour 100 ad valorem. Quant aux importations, les denrées nécessaires à la vie qui se tirent de l’étranger,