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hommes d’état pourrait souvent faire douter de leur patriotisme. C’est un pays en formation qui a en même temps les défauts des affranchis et ceux des enfans. Beaucoup de choses sont encore à créer, et beaucoup de celles qui existent demandent des réformes radicales ; mais les Ioniens n’ignoraient rien de tout cela lorsqu’ils demandaient à s’unir à la Grèce. Ils avaient mûrement pesé toutes les conséquences de leurs démarches, et à ceux qui leur disaient qu’ils auraient peut-être à en souffrir, les hommes de toutes les classes répondaient : « Nous voulons l’union avec tous les inconvéniens qu’elle peut avoir pour nous, afin que la nation profite de ses avantages. » Ce serait d’ailleurs fermer les yeux à l’évidence que vouloir nier le bien qui existe en Grèce à côté du mal. L’œuvre de régénération à laquelle s’est associée l’Europe a marché un peu lentement au gré de certaines impatiences ; mais elle ne s’est pas arrêtée. Ce royaume, formé dans des conditions où il était à peine viable, a su durer en dépit de tous les obstacles ; sa population a doublé en trente ans et son commerce a quadruplé. Comme le disait dans la Revue M. de Lavergne, « aucun pays de l’Europe n’a fait dans le même laps de temps les mêmes progrès proportionnels. »

Mais si la situation de la Grèce laisse en plus d’un point prise à la critique, tout était-il parfait dans le protectorat anglais des Iles-Ioniennes ? Quel était ce gouvernement pour que le peuple septinsulaire pût avoir un jour à le regretter ? Il faut être partie intéressée dans la question pour célébrer le bonheur et la liberté dont jouissaient les sept îles sous la domination britannique. On sait que les lords hauts-commissaires n’ont respecté ni l’habeas corpus ni le principe sacré de l’inviolabilité de la propriété, et que les garanties parlementaires promises aux sept îles par le traité de 1815 étaient devenues illusoires, puisque les ministres du haut-commissaire britannique, réunis en corps irresponsable sous le nom de sénat, avaient le droit de casser les décisions du parlement et de rendre des lois par simple ordonnance. L’absolutisme qui pesait sur les Ioniens était-il du moins compensé par une grande prospérité matérielle ? Il est facile de prouver qu’au point de vue des intérêts matériels les Ioniens n’auront pas non plus à se repentir d’avoir voulu l’union. Il est vrai que, lorsqu’on arrive de Grèce dans les Iles-Ioniennes et qu’on ne passe que peu de temps dans ce dernier pays, on est frappé d’un aspect extérieur de prospérité. Là point de ces déserts incultes que l’on rencontre si souvent dans le royaume hellénique, point de ces villages encore à demi ruinés, mais de grandes villes bien bâties, et autour de ces villes de belles routes carrossables où l’on circule comme dans les allées d’un parc. Que le voyageur prolonge cependant son séjour, qu’il étudie les campagnes, et il y découvrira bien