Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 49.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

instruit que celui de la Grèce continentale, possède une immense influence, et s’est toujours montré le plus ardent propagateur du mouvement national. L’archevêque de Corfou particulièrement, prélat d’une haute intelligence et du caractère le plus respectable, a été depuis dix ans au premier rang parmi les champions de l’idée d’union à la Grèce. L’Angleterre a vainement employé pour l’ébranler les menaces et les flatteries ; rien n’a pu le détourner de la ligne patriotique qu’il avait embrassée. Aussi son nom est-il le plus populaire de tous, et l’autorité qu’il exerce sur les masses est-elle sans limites. C’est à lui, c’est à son action et à celle du clergé dirigé par ses conseils, c’est aux mandemens vraiment apostoliques qu’il avait fait lire dans toutes les églises, que l’on a dû de voir le peuple de Corfou, connu pourtant de longue date pour sa turbulence et son caractère violent, traverser les dernières élections et les grandes manifestations patriotiques de l’union avec un ordre et une sagesse qu’eussent pu envier les peuples les plus avancés de l’Europe.

Toutes ces circonstances donnaient une importance et une solennité particulières à la cérémonie religieuse par laquelle devaient s’ouvrir les fêtes de l’annexion. La cathédrale grecque de Corfou est située au sommet d’une rue en escalier qui s’ouvre sur les anciens remparts de mer, aujourd’hui désarmés et devenus de simples quais dominant le port. Du portique de cette église on voit se développer l’admirable panorama de la rade, avec les nombreux vaisseaux de guerre qui y demeurent ordinairement en station, et l’îlot rocheux du Vido, dont les fortifications écrasées et les formidables batteries à fleur d’eau couvrent le mouillage de Corfou contre toute attaque extérieure ; au-delà s’étend le canal qui sépare l’île de la terre ferme, et dans le fond du tableau la côte d’Albanie, distante de trois milles à peine, qui dresse vers le ciel les sommets de ses montagnes, laisse distinctement apercevoir sur leurs flancs les maisons agglomérées des villes musulmanes de Butrinto et de Conispolis.

Le 8 octobre au matin, cinquante mille personnes vêtues de leurs habits de fête étaient rangées en haie, avec une régularité militaire, le long des quais, depuis l’esplanade jusqu’à la cathédrale d’un côté, et de l’autre depuis la cathédrale jusqu’à la porte de mer. On y voyait la population mâle de tous les villages de l’île, même les plus éloignés, ses prêtres en tête, les habitans de la ville et des populeux faubourgs de Manducchio et de Garitza, rangés par corporations, les catholiques et les juifs unis aux grecs dans cette solennité nationale autant que religieuse, des députations de chacune des sept îles et un très grand nombre de chrétiens accourus de l’Épire. Rien n’est plus original qu’une réunion populaire à Corfou, grâce à la variété des costumes de la campagne. Les uns ont la tête coiffée