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en s’alliant aux amis de l’Angleterre, partout les suffrages du peuple ionien se portèrent avec une écrasante majorité sur les plus fermes parmi les rhizospastes, c’est-à-dire parmi ceux qui avaient constamment combattu la protection britannique et n’avaient jamais voulu accéder à aucune transaction. C’étaient, pour ne citer que les plus notables, le président élu, M. Padovan, l’honneur du barreau de Corfou, toujours sur la broche pour soutenir la cause de la reconstitution nationale ; le comte Boulgaris Auclercq, son prédécesseur dans cette voie et son fidèle émule ; M. Livadas, le premier qui eût, dès 1824, prononcé les mots d’union à la Grèce ; M. J. Typaldos Capélétos, exilé depuis treize ans pour avoir en 1850 proposé au parlement un décret d’union ; M. Miliarésis, industriel de Céphalonie, dont la maison était depuis longtemps le centre de réunion du parti rhizospaste ; M. Lombardos, l’éloquent orateur de Zante, l’auteur de la proposition d’union de 1857, à la tête d’un groupe de dix voix toujours inséparables ; M. Valaoritis, aujourd’hui le premier poète des Iles-Ioniennes ; enfin M. Marinos de Sainte-Maure, M. Macris de Paxo et M. Païzis d’Ithaque, tous trois vétérans des assemblées ioniennes, tous trois ayant bravé la prison et l’exil pour demeurer fidèles à leurs opinions.

Depuis quarante-huit ans, la situation des Iles-Ioniennes présente la plus étrange contradiction entre le droit et le fait. Le traité du 9 novembre 1815 proclame les sept îles un « état libre et indépendant, » se gouvernant lui-même, placé seulement sous le protectorat de l’Angleterre, qui n’a droit de garnison que dans les trois forteresses de Corfou, de Zante et de Sainte-Maure, et qui doit entretenir auprès de la république ionienne, tandis que les autres puissances n’y ont que des consuls, un agent diplomatique spécial appelé lord haut-commissaire. Tel est le droit. Cependant, depuis le jour où elle a mis le pied dans les sept îles, l’Angleterre, au mépris des traités, a fait de son protectorat une souveraineté réelle, a gouverné le pays comme une colonie, y a partout installé ses troupes et a donné au lord haut-commissaire les attributions d’un véritable vice-roi. Tel est le fait. Or ce fait violent, illégal, qui ne s’appuie sur aucun titre et qui ne saurait prévaloir contre le droit écrit dans les traités, aucun parlement ionien depuis 1848, depuis l’époque où le pays a commencé à posséder une chambre nommée par lui-même, et non, comme auparavant, par le lord haut-commissaire, n’a voulu le reconnaître. Tous successivement ont réclamé le rétablissement des choses telles qu’elles avaient été réglées par le traité de 1815.

Au moment de voir se réaliser l’union avec la Grèce, cette attitude ne pouvait pas être abandonnée ; les Ioniens ne pouvaient