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voir l’union votée par des hommes qui ne fussent pas ses ennemis aussi déclarés, par une assemblée disposée à subir toutes ses conditions, à donner un bill d’indemnité à la conduite des autorités anglaises depuis 1815, à remercier même l’Angleterre de la manière dont elle avait exercé son protectorat : c’eût été une satisfaction pour l’amour-propre national, quelque peu froissé au-delà de la Manche de l’idée de voir le pavillon britannique disparaître d’un point stratégique de premier ordre où il avait longtemps flotté. Il espérait en outre que la générosité de sa résolution ne resterait pas stérile, que la gratitude du peuple ionien ramènerait à la vie publique les amis de la Grande-Bretagne, et dans la chambre de Corfou, puis plus tard parmi les députés que les sept îles enverraient à l’assemblée constituante d’Athènes, qu’ainsi les représentans des Iles-Ioniennes pourraient devenir les premiers serviteurs de l’influence britannique en Grèce, au lieu d’être ses plus ardens adversaires. C’est avec ce désir et cet espoir que le gouvernement anglais avait dissous le parlement ionien et provoqué de nouvelles élections.

Son attente fut déçue. Rien ne pouvait dissiper l’incurable défiance des Ioniens pour tout ce qui venait de l’Angleterre. Sous le bienfait, ils soupçonnèrent un piège ; un acte de générosité désintéressée leur parut impossible, et ils cherchèrent l’arrière-pensée qu’il pouvait déguiser. Ils craignirent que l’Angleterre ne cédât la partie pour acquérir le tout, qu’elle ne tendît à faire en réalité de l’annexion des Iles-Ioniennes à la Grèce une annexion de la Grèce aux Iles-Ioniennes, et qu’elle ne voulût échanger son protectorat restreint contre une suzeraineté sur la nation grecque tout entière. Au lieu d’adopter sans examen les conditions que l’Angleterre voulait mettre à l’union, ils préférèrent ajourner peut-être l’accomplissement d’un vœu si souvent exprimé et, tout en s’exposant au reproche de montrer trop de raideur à l’égard du gouvernement qui renonçait spontanément à son protectorat, n’accepter du moins ses conditions qu’après s’être prémunis contre les embûches qu’elles pouvaient cacher, ne rien voter qui pût engager l’avenir de la Grèce et y donner un pied à l’influence étrangère, enfin maintenir intacte la dignité nationale, qu’ils avaient su défendre avec une louable fermeté dans le cours de leurs luttes précédentes.

Aussi les nouvelles élections n’appelèrent-elles pas les amis de l’Angleterre à représenter le pays. Bien plus, elles eurent pour résultat la réunion d’un parlement plus hostile encore à l’influence anglaise. Excepté à Céphalonie, où de misérables questions d’ambition et de vanité personnelle amenèrent plusieurs des hommes qui avaient été autrefois à la tête du parti national à renier leur passé