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de simples laboureurs, des protestans qui se relevaient pour la première fois d’une longue oppression. On comprend sans peine les sentimens dont furent saisis nos pères à l’aspect de cette majestueuse procession du 4 mai 1789 à Versailles, où les représentans des trois ordres défilèrent avec le roi et la reine, sous les acclamations populaires, pour se rendre à l’église Saint-Louis. La France tout entière était là avec ses souvenirs et ses espérances. Qui aurait pu croire que cette famille, alors si unie, allait se diviser et se déchirer ?

Outre les noms des élus, les élections de 1789 se caractérisent par la rédaction des cahiers. M. Chassin annonce, pour une publication ultérieure, une analyse détaillée des cahiers, et il a bien raison d’y consacrer une étude approfondie, car c’est le plus beau sujet historique et politique qui se puisse traiter. Je n’ai pas lu, comme lui, tous les cahiers de 1789, mais j’en ai lu beaucoup. J’y ai vu, sauf un bien petit nombre d’exceptions, un élan général des trois ordres vers la monarchie constitutionnelle et parlementaire, l’égalité civile, la liberté politique et religieuse, la décentralisation administrative, l’économie des finances, la bonne organisation de la justice, tout ce que voulait le roi lui-même sans bouleversement et sans désordre. L’immense majorité des états-généraux arrivait pénétrée de cet esprit, et si l’assemblée nationale a glissé si vite, sur une autre pente, c’est qu’elle a bientôt cessé d’être libre. L’assemblée de 1790 et de 1791 n’est plus la même que celle de 1789 ; il suffit de compter le nombre des votans pour voir que la moitié des députés ne prend plus part aux délibérations. À partir des derniers mois de 1789, ce n’est plus la majorité, c’est la minorité qui gouverne, et sous la pression violente des clubs et des émeutes.

Au nombre des fatalités qui précipitèrent cette funeste transformation, il faut ranger sans doute la disette de 1789 ; mais si le peuple avait faim, comme dit M. Chassin, ce n’était pas la faute du roi, qui avait fait au contraire tout ce qu’il avait pu pour activer les progrès de l’agriculture et pour améliorer la condition des classes pauvres. Ce n’était pas dans tous les cas la révolution qui pouvait y porter remède, et elle l’a bien prouvé, car elle a institué la disette en permanence. J’aurais encore bien des réserves à faire sur les doctrines que renferme ce livre ; j’aime mieux m’arrêter là. On ne peut voir sans un sentiment de joie et d’espérance, toute une école de jeunes publicistes revenir à l’étude sérieuse de 1789. Quelle que soit la passion qu’ils y apportent, ils ne peuvent manquer de se laisser gagner tôt ou tard par le véritable esprit de ce temps, et il serait hors de propos de trop marquer des dissidences qui probablement iront en s’effaçant.


LOUIS DE LAVERGNE.


V. DE MARS.